La Valse des tulipes
Bienvenue dans l’estuaire d’Urdaibai, poumon de la Biscaye, un espace naturel d’une beauté stupéfiante qui s’étend des marécages de Gernika aux falaises déchiquetées de la mer Cantabrique.
Ce paradis, qui vit au rythme des marées, voit soudain sa tranquillité mise à mal par le meurtre de plusieurs femmes, toutes âgées d’une cinquantaine d’années.
Ane, une jeune inspectrice de Bilbao, férue de rock, de surf et de mythologie celte, est aux commandes d’une nouvelle unité d’élite chargée de résoudre l’affaire avant que la presse ne fasse souffler un vent de panique sur toute la région.
L’enquête ne tarde pas à révéler que les victimes ont en commun une tulipe rouge sur le corps et une année blanche dans leur CV. En 1979, quittant alors l’adolescence, elles seraient toutes allées passer une année à Lourdes, “missionnées” par un couvent de Gernika. Dans quel but ?
Ce page-turner s’appuie sur une histoire terriblement addictive et une foule de personnages merveilleusement incarnés. Mais il captive tout autant par son atmosphère : villages austères, maisons de granit, processions fiévreuses, écho lancinant de la pluie, relents de salpêtre, ballets de goélands dans le sillage des chalutiers qui rentrent au port...
Tout autour, les ténèbres franquistes, telle une plaie toujours à vif, baignent cette nature sauvage peuplée d’hommes rudes et de multiples secrets.
La presse en parle
Ibon Martín s’y entend pour faire monter la tension et maintenir le suspense jusqu’au dernier moment. Il utilise le roman pour évoquer avec force la condition de la femme sous l’Espagne franquiste mais aussi dans le monde d’aujourd’hui. (…) Et on sait déjà qu’on les retrouvera pour d’autres aventures dans ce Pays basque mystérieux que l’auteur nous fait découvrir avec passion.
Jean-Marie Wynants, Le Soir
Avant d’être un roman passionnant que l’on ne parvient pas à lâcher, il est aussi une ode à ce coin d’Espagne, à ce Pays basque, mais aussi à ceux qui l’habitent, souvent depuis toujours, gens taiseux qui savent qu’il n’est d’autres vérités profondes que celles des saisons, des marées, de la pêche, des montagnes...
Olivier Mony, Livres Hebdo
Extrait
19 octobre 2018, vendredi
Santi jette un dernier coup d’œil dans le rétroviseur avant d’activer la fermeture des portières. Plus personne sur le quai. Il dépasse les dernières maisons de Gernika et sous ses yeux, de chaque côté de la voie, se profile le tracé délicat des collines. Çà et là, des demeures solitaires ajoutent des touches de blanc et de rouge. C’est un monde paisible, beau, où de temps en temps s’insinuent le bleu de la mer Cantabrique et le jaune pâle des roseaux.
Un pêcheur, son panier en osier à l’épaule et le cigare au bec, attend l’ouverture de la barrière du passage à niveau pour continuer son chemin. Santi actionne le sifflet de la locomotive pour le saluer, et l’homme lui répond d’un geste de la main. Plus loin, c’est une femme aux hanches larges qui relève la tête, dans son potager bien entretenu, pour regarder le train. Le machiniste imagine qu’elle scrute les wagons, à l’affût d’un visage familier. Elle le trouve certainement, tout le monde se connaît, ici.
— Merci, murmure Santi presque intérieurement.
Après avoir été vingt-deux ans conducteur de métro à Bilbao, la compagnie l’a promu en le nommant sur la ligne de l’Urdaibai. C’est la plus belle de tout le réseau, et la plus tranquille. Après l’obscurité des tunnels sous la ville et l’agitation des quais aux heures de pointe, la solitude de cette ligne entre les maremmes et les villages assoupis est un baume de paix.
Santi respire à fond. La vie lui sourit.
19 octobre 2018, vendredi
Il aime ce monde, un territoire qui suit encore le rythme de la nature. En plein xxie siècle, ce sont encore les marées qui commandent en Urdaibai. Qui tracent les contours d’une carte où la mer et la terre s’enlacent harmonieusement.
Mollement bercé par les cahots du train, l’esprit de Santi s’envole vers son foyer. La situation s’arrange. Il y a eu une période difficile entre Natalia et lui, mais tout redevient comme avant. Ils vont bientôt fêter leurs vingt-cinq ans de mariage, et il tient à marquer le coup.
La voie réclame son attention. Un cormoran, noir comme la nuit, s’envole au passage du train et plonge dans les eaux vertes qui s’étendent maintenant devant lui. Quelques secondes plus tard, l’oiseau émerge, un poisson argenté au bec, qu’il secoue vivement, peut-être pour solliciter les acclamations des rares voyageurs.
Tout cela plairait beaucoup à Natalia. Un instant, Santi l’imagine assise à côté de lui dans la cabine. C’est contre toutes les règles, mais juste une fois, ce n’est pas grave. Sa femme le mérite ; lui aussi, après vingt-deux années sous la grande ville. Il est bien placé pour lui expliquer la beauté qu’il contemple tous les jours, aux commandes du train régional.
Natalia... Natalia... Rien ne compte davantage dans sa vie. Il n’a personne d’autre à aimer, pas d’enfant. Le dernier obstacle a été franchi et maintenant il peut de nouveau rêver de vieillir auprès d’elle. Son regard, son sourire...
Son visage lui apparaît de l’autre côté de la vitre, fondu dans le paysage, et il lui sourit, bien sûr. Elle aussi, elle aime ses projets.
La vision est si réaliste que le machiniste cligne des yeux pour revenir à la réalité.
Il les rouvre et Natalia est toujours là, assise sur une chaise, au milieu de la voie.
En regardant plus attentivement ses lèvres, Santi comprend que ce n’est pas un sourire. Elle crie. De toutes ses forces. Malgré les bruits du roulement, le conducteur l’entend.
Tout se déroule très vite, mais Santi a l’impression de le vivre au ralenti. Implacable, le train dévore la distance qui les sépare.
— Non ! Natalia, non ! Sors de là ! hurle le machiniste en actionnant le freinage d’urgence.
Un crissement métallique et pénétrant accompagne la secousse qui ébranle le convoi. Derrière la porte de sécurité, on entend les plaintes de quelques voyageurs, surpris par le coup de frein.
Dans les yeux de sa femme, Santi lit une terreur comme il n’en a jamais vu. Ses propres yeux n’expriment sans doute pas un message plus rassurant. Il est trop tard. Un train ne peut pas s’arrêter net. Natalia est condamnée.
— Sors de là ! crie Santi en se prenant la tête à deux mains. – Sa voix est brisée, déchirante. – Allez, sors de là !
En vain. Les cordes qui attachent Natalia à la chaise l’empêchent de bouger. Elle ne peut que hurler. Et attendre que le train de son mari mette un terme à sa route.