Isola

Auteur : Åsa Avdic
Editeur : Actes Sud

Protectorat de Suède, 2037. Sur l’île d’Isola, dans l’archipel de Stockholm, sept candidats, sélectionnés par le gouvernement dans le cadre d’un recrutement à une haute fonction classée secret-défense, vont devoir rivaliser d’ingéniosité. Le processus doit durer quarante-huit heures. L’une des participantes n’est autre qu’Anna Francis, un bourreau de travail au CV et au parcours médiatisé hors normes. Elle a une fille de neuf ans, qu’elle connaît à peine, et un lourd passé qui la hante. Sa mission sur Isola ? Feindre sa propre mort et observer les réactions des autres candidats depuis les couloirs secrets spécialement conçus entre les murs de l’étrange et unique maison de l’île.

Mais dès l’instant où Anna pose le pied sur Isola, elle prend conscience que quelque chose cloche. Le vent se lève et une tempête se forme. Le jeu peut alors commencer… Qui prendra le contrôle de la situation ? Qui craquera sous la pression et l’autarcie ?

Dans la veine du célèbre chef-d’œuvre, nouvellement rebaptisé, d’Agatha Christie, Ils étaient dix, et au cœur d’un huis clos glaçant et extrêmement efficace, Åsa Avdic joue avec les nerfs du lecteur, en mélangeant subtilement dystopie, thriller et roman noir dans une Suède orwellienne.

Traduction : Esther Sermage
22,00 €
Parution : Juillet 2021
300 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-4157-8
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Extrait

Deux personnes avaient été nommées responsables de la mise en œuvre du projet : l’homme mènerait les interrogatoires et la femme le seconderait. Pour commencer. Petit à petit, elle prendrait la relève. Ils usaient fréquemment de cette tactique assez fructueuse – garder une petite surprise en réserve pour la personne interrogée. La plupart des gens, assez bornés sur ce plan-là, partaient du principe que l’homme menait la barque et que la femme suivait, qu’il possédait les compétences et qu’elle était sa subalterne, une simple assistante ou une quelconque secrétaire. En réalité, c’était tout le contraire. S’il fallait avoir peur de quelqu’un, c’était d’elle. Ils formaient une bonne équipe tous les deux. Au fil des ans, ils avaient appris à travailler efficacement ensemble. L’un sévère et procédurier, l’autre gentil et chaleureux. Parfois, ils échangeaient les rôles, brusquement, en plein milieu d’une séance. Pourquoi ? Parce qu’ils jetaient ainsi le doute dans l’esprit du sujet interrogé, mais aussi parce qu’ils en avaient le pouvoir, tout simplement. Et à la fin, c’était presque toujours elle qui faisait craquer le témoin.
Elle eut un petit sourire de satisfaction. Elle savait à quel point elle était douée dans son travail. Et puis, à cet instant précis, elle aperçut une place de stationnement juste devant l’entrée du 302. Elle braqua, faillit frôler la voiture d’à côté et arriva un peu de travers. Elle décida de ressortir en marche arrière et exécuta un créneau parfait, s’arrêtant au beau milieu du rectangle. Ayant attrapé son sac sur le siège du passager, elle descendit du véhicule et, perchée sur ses talons hauts, se dirigea vers l’ascenseur, où elle montra sa carte à la caméra, qui confirma son identité. C’était tout de même un peu agaçant qu’une fonctionnaire qui, comme elle, avait largement fait ses preuves, doive se soumettre à ce genre de contrôle. Mais tout le monde était logé à la même enseigne, lui avait-on dit. Même le président devait s’incliner face au protocole. Du moins le lui avait-il assuré. Cela faisait de lui un membre de l’équipe comme un autre – bien que tout le monde sût que ce n’était pas le cas. D’ailleurs, se dit-elle au son de l’ascenseur qui descendait vers elle, étage après étage, à part son collaborateur le plus proche, elle ne connaissait même pas les membres de cette fameuse “équipe”. Elle avait confiance en son président, ce qui ne revenait pas à le connaître, mais enfin, elle ne pouvait pas en demander plus. Il fallait accepter cet état de fait. Les portes coulissèrent et, lorsqu’elle fut entrée, se refermèrent immédiatement derrière elle avec un petit bruit de succion. Dans la cabine régnait une étrange apesanteur ; elle sentait à peine le mouvement de l’appareil dans son corps. Les portes se rouvrirent à un des étages supérieurs du bâtiment. La ville s’étalait sous les fenêtres ; plus loin, on distinguait les contours du port, puis de l’archipel et de la haute mer, qui semblait s’étendre à l’infini. C’était à la fois sécurisant et inquiétant de s’imaginer que l’horizon n’était qu’une illusion d’optique, qu’il ne s’agissait nullement d’une bordure, mais de la limite de son propre champ de vision. Il peut en arriver, des choses, là-bas, songea-t-elle. Enfin, tôt ou tard, on échoue sur la terre ferme. Comme le contenu de l’attaché-case qu’elle portait. Elle se le représenta comme du bois flottant, jeté sur une plage où il s’immobilisait pour se décomposer. Son travail consistait à éliminer les déchets. Leur travail. Ils avaient effectué de fréquentes missions de ce type. Et pourtant, son ventre se nouait toujours lorsqu’elle pensait à ce qui les attendait.
Elle le trouva dans le vestiaire, boutonnant déjà sa veste d’uniforme.
— Ah ! Tu as mis tes chaussures porte-bonheur ? dit-il avec un sourire oblique.
Elle ôta ses escarpins noirs aux semelles rouges et les rangea dans son casier – des chaussures d’importation hors de prix que sa sœur lui avait envoyées de l’étranger. C’était idiot, elle s’était mis en tête que la couleur rouge portait chance. Elle n’était pourtant pas du genre superstitieuse. Mais cela faisait si longtemps – de longues années – qu’elle ajoutait un élément rouge à sa tenue lorsqu’elle avait une mission importante à accomplir qu’elle n’osait plus s’en passer. Inutile de provoquer le sort un jour pareil. Bref, c’était toujours le mauvais moment pour arrêter.
— Ça me rassure, reprit-il. Nous allons avoir besoin d’une bonne étoile aujourd’hui, même si nous ne parlons pas à la première intéressée.
Elle leva les yeux, sentant l’inquiétude lui serrer un peu plus l’estomac.
— Anna Francis ? Elle est toujours... indisponible ? Enfin, façon de parler.
Il haussa les épaules :
— Je ne sais pas. Et je ne sais pas comment on est censé appeler ça non plus. Mais on y va quand même. Je t’attends dehors.

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