Où je suis

Auteur : Jhumpa Lahiri
Editeur : Jacqueline Chambon

Effarement et exubérance, enracinement et étrangeté : dans ce nouveau roman, Jhumpa Lahiri pousse l'exploration des thèmes qui sont les siens à leur limite. La femme qui se tient au centre de l'histoire est professeur, elle a quarante ans et pas d'enfants. Elle oscille entre immobilité et mouvement, entre besoin d'appartenance et refus de nouer des liens. La ville italienne qu'elle habite, et qui l'enchante, est sa confidente : les trottoirs autour de chez elle, les parcs, les ponts, les piazzas, les rues, les boutiques, les cafés... Elle a des amies femmes, des amis hommes, et puis il y a "lui", une ombre qui la réconforte et la trouble tout à la fois...
Le tour de force de ce beau roman, écrit dans une langue à la fois très simple et précise consiste à faire de cette anti-héroïne spectrale un personnage qui prend progressivement une véritable épaisseur charnelle et fictionnelle, et de ce non-roman une fiction tendue par un suspense transformant ces intrigues dérisoires en matière à un «page turner »d'un genre fantomatique et mystérieux.
Premier roman de Jhumpa Lahiri écrit en italien, «Où je suis » brûle du désir de passer les frontières et de forger une nouvelle langue littéraire.

Traduction : Hélène Frappat
16,00 €
Parution : Mars 2021
144 pages
ISBN : 978-2-3301-4897-3
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Extrait

Le matin, après mon petit-déjeuner, je passe devant une petite plaque en marbre appuyée contre le haut mur de la rue. Je n’ai jamais rencontré le mort, et pourtant, depuis le temps, je connais son prénom et son nom. Je connais le mois et le jour de sa naissance et de sa disparition. Il est mort, cet homme, deux jours après son anniversaire, en février.
Il a dû avoir un accident à vélo ou en scooter. À moins qu’il ne soit rentré à pied chez lui, en pleine nuit, il était distrait, et il s’est fait écraser.
Il a perdu la vie à quarante-quatre ans. Il est mort, j’imagine, exactement à cet endroit, sur ce trottoir, près du mur d’où surgissent des mauvaises herbes, ce qui explique que la plaque soit posée tout en bas, aux pieds des passants. C’est une rue sinueuse, en montée, un peu dangereuse. Le trottoir, d’où jaillissent les racines des arbres, n’est pas pratique. À cause de ces racines, certains tronçons sont presque impraticables, et de fait, moi aussi, j’ai tendance à marcher au milieu de la rue.
Comme d’habitude il y a une bougie allumée dans un récipient en verre rouge, avec un petit bouquet de fleurs et la statuette d’un saint. Mais aucune photo de lui. Au-dessus de la bougie, accroché au mur, il y a un mot de la main de la mère, que protège un pâle emballage en plastique : un salut adressé à ceux qui s’arrêtent un instant pour se recueillir sur la disparition de son fils. « Je serais heureuse de remercier en personne ceux qui consacreront un peu de leur temps à mon fils, mais si c’est impossible, je les remercie quoi qu’il en soit de tout mon cœur », voilà ce qui est écrit.
Je n’ai vu ni la mère, ni personne d’autre, devant la plaque. J’accorde une pensée égale à la mère et au fils, puis je poursuis ma route, en me sentant un peu moins vivante.

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