Made for Love

Auteur : Alissa Nutting
Editeur : Gaïa

En quittant son époux Byron, célèbre PDG d’un empire technologique, après dix ans de mariage, Hazel s’attendait – légitimement – au pire. Qu’il la traque, qu’il la force à regagner le foyer conjugal, voire qu’il la tue. Elle n’avait cependant pas envisagé qu’il ait pu implanter un dispositif de surveillance dans son cerveau, ni que son père, chez qui elle trouve refuge, ait choisi de partager ses vieux jours avec une poupée sexuelle. Décidément, la vie est pleine de (mauvaises) surprises.
Alissa Nutting signe une comédie noire délicieusement grinçante et follement divertissante sur l’amour, la famille et un monde obsédé par la technologie et la prospérité.

Traduction : Catherine Richard-Mas
22,50 €
Parution : Janvier 2022
336 pages
ISBN : 978-2-3301-6130-9
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Extrait

Août 2019
À soixante-seize ans, le père de Hazel venait de s’acheter une poupée. De la taille d’une femme. Une de ces poupées conçues pour un usage sexuel qui se rapproche le plus possible d’un coït avec une vraie femme vivante (quoique l’analogie soit peut-être plus crédible avec une femme tout juste décédée, pensa Hazel). La caisse de transport présentait une ressemblance troublante avec un cercueil en pin nu. Ce qui rappela à Hazel le passage du film Dracula dans lequel le comte s’expédie lui-même par-delà les mers en bateau.
La caisse éventrée trônait pour l’heure au milieu du salon du père de Hazel, entourée d’un assortiment d’outils aussi bien classiques qu’improvisés au nombre desquels un ouvre-boîte. Sortir tout seul la poupée de sa caisse avait demandé beaucoup de ténacité. Il y avait des éclats de bois partout. Au vu des débris, on aurait dit que la caisse avait contenu un animal qui s’était échappé et rôdait maintenant dans la maison.
Le ronron mécanique poussif du scooter médical, derrière elle, annonça à Hazel l’arrivée de son père, mais elle garda les yeux rivés sur la caisse. Assez grande pour qu’elle s’y allonge. Elle pourrait y dormir. Maintenant qu’elle était en principe sans domicile fixe, Hazel cherchait un “lit vacant” potentiel partout où elle posait les yeux.
Bon alors est-ce que j’arriverais à dormir là-dedans, ou là-dessus ? semblait soudain la grande question en toutes circonstances. Peut-être cette caisse lui garantirait-elle le meilleur sommeil de sa vie ? Ce serait peut-être bien de dormir sans le moindre espace superflu, surtout après des années à essayer de dormir en mettant le plus d’espace possible entre elle et l’autre occupant du lit, lequel était invariablement Byron. Dans la caisse, il n’y aurait pas la place de gigoter. Pas la possibilité de chercher la meilleure position étant donné qu’une seule serait possible. Peut-être parviendrait-elle à tout simplement s’allonger et déconnecter. Recharger ses batteries comme l’un des milliers d’appareils électroniques que possédait Byron.
Dire qu’il les “possédait”, c’était schématiser. Il les avait aussi inventés. Byron avait fondé et bâti un empire technologique. Sa fortune et son pouvoir constituaient un aperçu terrifiant de l’infini.
Hazel avait quitté Byron pour toujours ce matin-là, en même temps que tous les moyens de subsistance et d’identification disponibles. Et elle savait qu’elle ne l’emporterait pas en paradis.
Son père accepterait qu’elle reste chez lui, n’est-ce pas ? C’était égoïste de lui demander asile – Byron était du genre vindicatif – mais elle aimait se dire qu’elle n’avait pas d’autre possibilité. Se marier à un multimilliardaire excentrique du high-tech, ç’avait un peu fait le vide autour d’elle.
Le mieux, c’était de ne pas penser au fait qu’elle mettait la vie de son père en danger. Mais elle ne voulait pas non plus penser à la situation qu’elle découvrait actuellement dans son salon. N’ayant, à vrai dire, envie de penser à rien, elle choisit plutôt de s’administrer une succession de morsures bien senties à la lèvre inférieure en tâchant de se concentrer sur la douleur.
“Hazel !” La voix de son père retentit en un joyeux rugissement dénué de toute gêne. “Bon sang, comment tu vas ? Je ne t’ai pas entendue entrer.
— J’ai ouvert avec ma clé”, dit Hazel. En remontant l’allée du jardin, elle s’était trouvée culottée de débarquer chez son père avec une valise, mais à présent, vu la montagne de détritus que sa toute dernière invitée avait apportée, Hazel se réconforta un peu en se disant qu’en matière de bagage, elle n’encombrait pas vraiment, quand bien même sa présence risquait de mettre la vie de son père en danger. Au moins, elle n’arrivait pas dans un cercueil géant !

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