Jeune fille en bleu, à la fenêtre, au crépuscule
Berlin, 2017 : Hannah, 27 ans, trouve une lettre d’un avocat, identifiant sa grand-mère et elle comme les possibles héritières d’une collection d’art qui avait été confisquée sous le régime nazi. Pourtant, c’est la première fois que la jeune étudiante entend quelque chose sur d’éventuelles racines juives. Et pourquoi sa grand-mère bien-aimée Evelyn, sa seule parente vivante, n’a-t-elle jamais livré un seul mot sur son passé ?
Entremêlant le sort de plusieurs personnages féminins, Alena Schröder retrace avec empathie la question de savoir comment nous parvenons à gérer notre histoire personnelle et l’héritage de nos ancêtres.
Extrait
Avant que sa grand-mère ne se remette à s’occuper de la mort, Hannah devait régler le problème du store.
À la fin de sa visite hebdomadaire à la maison de retraite, c’était un rituel déprimant, et la confirmation toujours renouvelée de ne pouvoir faire, aux yeux de sa grand-mère, les choses les plus simples du premier coup, d’avoir toujours besoin d’une deuxième tentative, voire d’une troisième. Mais bon, elle pouvait se montrer généreuse. Rien de plus facile que d’offrir à une vieille femme fatiguée de vivre, dans une maison de retraite, quelques instants d’un sentiment de pure supériorité.
Affalée dans son fauteuil en cuir qui s’enroulait autour de son dos voûté comme une carapace de tortue, Evelyn observait sa petite-fille avec une frustration croissante et donnait en pointant l’index des instructions sur la façon de régler correctement les stores.
– Plus bas ! C’est trop ! Maintenant, incline-le. Un peu plus ! Non mais, tu le fais exprès, ma fille !
Hannah manipula le cordon et la tige d’orientation jusqu’à ce que le soleil d’octobre qui brillait à travers les lattes de plastique blanc plonge la pièce dans une lumière particulièrement blafarde. Evelyn allait passer le reste de la journée dans cette grisaille, à écouter le tic-tac de ses nombreuses pendules ou à regarder la télévision en attendant la mort, tout en prenant des vitamines et toutes sortes de pilules et de poudres censées prolonger la durée de vie, qu’Hannah lui avait achetées à la pharmacie.
Si elle était sincère, Hannah devait admettre que c’était cette interaction entre le désir de mort et la volonté de survie qui motivait ses visites régulières à sa grand-mère. C’était un sentiment qui les unissait toutes les deux. À la différence qu’Hannah laissait les jours défiler comme si elle contemplait le monde à travers une vitre opale tandis qu’Evelyn, du haut de ses quatre-vingt-quatorze ans, s’accrochait furieusement à la vie, entêtée et insatisfaite, comme si celle-ci avait encore des dettes envers elle.