Moi qui ai souri le premier
Un viol, une disparition, un passage à tabac, trois moments de violence inouïe qui creusent la béance sur laquelle s’échafaude, dès avant l’âge « adulte », la jeune vie d’un garçon homosexuel. Trois souvenirs d’adolescence qui signent plus encore que la fin de l’innocence, la fin prématurée des promesses.
Ce texte brûlant, le plus intime et le plus cru de Daniel Arsand, peut se lire comme le making of de son incroyable roman, "Je suis en vie et tu ne m’entends pas". Mais aussi, comme le un-making de toute une vie.
Extrait
Un instant heureux ? Je ne vois pas. Ça ne me vient pas. Il y en a eu, mais c’est plus une sensation, une succession de sensations, reliées à rien de particulier. Très tôt j’aimais surtout être seul. Qu’on ne vienne pas me surveiller, me demander si ça allait ou pas. Ma mère, si le silence dans ma chambre se prolongeait un peu trop, venait me faire coucou, ça va ? Je répondais, oui, ça va. Elle restait dans la pièce. Regardait. Me regardait jouer. Ce que je ressentais – je ne me le formulais pas encore – c’était : j’ai répondu, pourquoi elle ne retourne pas d’où elle vient, que veut-on de plus que ce que j’ai dit ? Et je m’entendais plutôt assez bien avec ma mère. J’avais quatre ou cinq ans.
Tôt, aux réunions de famille, en vacances, je m’emmerdais, je m’emmerdais à parler, à écouter, je me vivais à côté des autres, différent je ne sais pas, mais pas concerné par eux, ça, c’est sûr. Ce qu’on disait ne m’intéressait pas. Les garçons m’excitaient, mais je ne tombais amoureux que de filles. Je les sublimais sans doute, et m’arrêtais à leur visage.
Tout ce blabla de divan pour te dire que je ne vois rien comme “amour possible”, juste de l’invisible apaisant. Du bonheur sans paysage ni personnages.