Et soudain le chasseur sortit du bois

Auteur : Ioulia Iakovleva
Editeur : Actes Sud

Depuis Leningrad, Staline a commencé à faire le ménage dans les rangs du parti communiste et prépare l’arrivée de son régime totalitaire. Dans ce climat de tensions, l’enquêteur Zaïtsev doit résoudre une série de meurtres aux mises en scène quelque peu étranges… Entre complot politique, corruption et milieu de l’art, un thriller d’autant plus glaçant qu’il puise son efficacité dans les faits réels qui l’ont inspiré.

Traduction : Mireille Broudeur-Kogan
24,00 €
Parution : Avril 2023
496 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-6925-1
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Extrait

Zaïtsev reprit sa lecture depuis le début. De nouveau, il eut l’impression qu’on lui passait du papier de verre sur les paupières. Il lisait et relisait le rapport de police, incapable d’en retenir un traître mot.
La victime : Faïna Baranova, trente-quatre ans, non inscrite au parti, comptable dans une coopérative industrielle, célibataire.
Pas de chance, d’habitude, le premier suspect, c’est le mari. À part ça, zéro suspect, zéro indice.
Zaïtsev alluma l’ampoule sous l’abat-jour vert. Il n’y voyait pas vraiment plus clair. Dehors, le ciel était d’un bleu tendre. Habituelle supercherie du mois de juin et des nuits blanches de Leningrad. Pourtant, les magasins avaient déjà refermé leurs portes. Carrioles, tramways, automobiles avaient déserté les rues. Les habitants avaient baissé les stores opaques de leurs fenêtres en quête d’un sommeil fragile entre ces deux périodes de clarté que devenaient, le temps d’un mois, le jour et la nuit. Les rues endormies étaient claires et lumineuses.
Zaïtsev examina les clichés à la lumière de la lampe.
Faïna Baranova avait été assassinée dans la pièce qu’elle occupait au sein d’un appartement communautaire. Sur ces photographies en noir et blanc, la tapisserie rose paraissait gris clair. La victime était assise dans un fauteuil près d’une fenêtre. La lourde tenture qui masquait la porte d’entrée était relevée sur un côté. Par la fenêtre on apercevait la bibliothèque publique.
Zaïtsev tourna la page, vérifia l’adresse : 1, perspective du 25-Octobre. Autrement dit, l’angle de la perspective Nevski et de l’avenue Sadovaïa*.
À nouveau les lettres se brouillèrent en un maelström inintelligible. Zaïtsev réprima un bâillement. Impossible de se concentrer. Les bruits extérieurs l’en empêchaient. Tous les étages de la police criminelle de Leningrad étaient en proie à l’habituelle effervescence nocturne. Là, c’était un prévenu qu’on amenait, ici, un autre qu’on interrogeait. Quelqu’un sanglotait, un autre jurait et, dans tous les couloirs et tous les bureaux, les mêmes lampes répandaient la même lueur jaune blafarde. Partout régnait une forte odeur de tabac.
Bon, très bien, la femme s’appelait Faïna Baranova. Zaïtsev s’empara d’un des clichés en noir et blanc, s’employa à le coloriser mentalement. Les bords de la photographie coïncidaient avec l’embrasure de la porte ouverte par laquelle Zaïtsev avait entrevu pour la première fois la femme, plus exactement, son cadavre, lorsqu’il était venu procéder à l’examen des lieux.

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