Tout autre nom

Auteur : Craig Johnson
Editeur : Gallmeister éditions

Comme chaque année, le shérif Walt Longmire s'apprête à traverser le morose hiver des hautes plaines du Wyoming lorsque son ancien mentor, Lucian Connally, lui demande de s'occuper d'une affaire douloureuse. Dans un comté voisin, l'inspecteur Gerald Holman s'est suicidé dans sa chambre d'hôtel, et Lucian veut savoir ce qui a poussé son vieil ami à se tirer deux balles dans la tête. La curiosité de Walt est piquée, car deux balles, c'est une de trop. En feuilletant les dossiers de Holman, il découvre que ce dernier enquêtait sur une série de disparitions récentes de jeunes femmes dans un rayon de quinze kilomètres. Walt se lance dans une enquête haletante, bien décidé à percer ce mystère.
Le dixième roman de Craig Johnson défile sous nous yeux à la vitesse d'un train lancé à toute allure. Tout autre nom est une aventure emplie d'énergie et d'humanité.

Traduction : Sophie Aslanides
21,50 €
Parution : Mars 2018
352 pages
ISBN : 978-2-3517-8122-7
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Extrait

Je me tournai et commençai à monter les marches métalliques à côté du bureau, m’arrêtai sur le palier, et examinai les numéros des chambres jusqu’à ce que je parvienne à celle qui était barrée d’un ruban jaune marqué police – accès interdit. La police de Gillette et le bureau du shérif du comté de Campbell avaient eu la bonne idée de placer le ruban sur la porte, du coup, on pouvait l’ouvrir sans détruire les scellés.
Pratique.
Je glissai la clé dans la serrure et tournai le bouton, entrai et refermai derrière moi tout en allumant la lumière. Le chauffage dans la pièce avait été coupé et il y faisait froid, assez froid pour que ma respiration se matérialise par de la buée.
Un frigo à viande.
Avec plus de trente mille cas par an, le suicide est la dixième cause de mortalité aux États-Unis. Le taux chez les plus de soixante-cinq ans est bien plus élevé que la moyenne, et Holman avait soixante-sept ans. Cinquante-six pour cent des hommes qui se suicident utilisent une arme à feu, alors que, chez les femmes, le mode le plus répandu est l’overdose médicamenteuse.
La plupart des suicides résultent d’une dépression, mais il y en a certains dont les motivations ne sont jamais établies avec certitude. Cette situation n’est guère réconfortante pour les survivants, mais parfois, elle se révèle utile à l’enquêteur, qui peut se retrouver tellement immergé dans l’affaire qu’il est tenté de s’ouvrir les veines.
J’allumai la lumière dans la salle de bains et notai la présence d’éclats dans le lavabo, l’usure du carrelage, la moisissure sur le rideau de douche. Les serviettes minces étaient encore suspendues, pliées, sur le porte-serviettes, et les petites savonnettes étaient emballées, posées à côté du petit flacon de shampoing/ après-shampoing fourni par la maison. Même la première feuille du papier toilette était encore pliée en triangle – mes compliments au personnel de chambre.
J’éteignis cette lumière et retournai dans la pièce principale : la veste de costume de Gerald Holman et sa parka trois-quarts étaient soigneusement accrochées sur des cintres sous l’étagère chromée où se trouvait encore son chapeau de cow-boy blanc cassé, posé sur la calotte pour lui porter chance.
Malgré cela, sa chance s’était épuisée – ou il l’avait épuisée.
Il y avait d’autres rubans tendus délimitant une zone autour du lit où Gerald s’était tué, ce qui ne me dérangeait pas outre mesure, parce que je ne voyais aucune raison d’approcher plus près de la scène du carnage.
La tache de sang la plus importante se trouvait non pas sur le lit mais sur le sol, où il avait glissé après avoir tiré. À l’évidence, le haut de son corps avait été propulsé en arrière sous l’impact, et ensuite il avait rebondi sur le lit, ce qui avait projeté ses jambes vers l’avant. Il avait glissé jusqu’au sol et s’était vidé de son sang.
Généralement, lorsqu’un individu se tire une balle dans la tête, l’arme tombe de sa main et atterrit sur ses genoux, mais à en croire les photos prises sur la scène, je savais que l’agent Holman avait été bien entraîné, parce que le Colt Python était encore serré entre ses doigts recroquevillés, suite à un spasme cadavérique. C’était une preuve indéniable que la victime était morte l’arme dans la main; personne n’aurait pu placer le revolver là et recréer le même effet.
Dans les films, l’individu enfonce, la plupart du temps, le canon de l’arme dans sa bouche, appuie sur la détente, et un bref jet de sang est projeté de l’arrière de sa tête sur un mur, qui est de préférence blanc pour accentuer l’e et cinématographique, puis les yeux de la victime se révulsent et il tombe sur le côté, laissant un visage pas trop abîmé avec lequel l’employé des pompes funèbres peut travailler.
J’ai vu un certain nombre de scènes de suicides, aucune qui corresponde à ce tableau. Dans la réalité, selon l’arme utilisée, les e ets sont plus ou moins dévastateurs. Les photos qui se trouvaient dans le dossier sous mon bras rapportaient que l’ogive à tête plate Remington 158 gr avait traversé le palais de l’o cier de police à une vitesse supérieure à trois cent soixante-cinq mètres par seconde, lui arrachant le haut du crâne et tout le visage au-dessus du nez.
Je n’avais pas besoin de voir les traces de poudre résultantes ni les traces aspirées dans le canon du Colt pour savoir qui avait commis l’acte – mais une question me taraudait.
Pourquoi deux fois?
Car Gerald Holman avait reçu deux balles dans la tête. Le seul scénario possible était qu’il y avait exactement deux semaines, il avait tenu le gros revolver de la main gauche et s’était tiré une balle dans la joue gauche, avant d’enfoncer le canon du .357 dans sa bouche et de finir le boulot.
Il avait commencé sa carrière dans la Patrouille de l’autoroute du Wyoming dans l’insouciance des années 1950, puis accepté un poste d’adjoint au bureau du shérif du comté de Campbell dans les années 1960. Promu premier shérif adjoint dans les années 1970, il s’était présenté aux élections dix ans plus tard, mais sans succès. Il avait par la suite occupé un poste d’enquêteur. Et retraité, il avait repris du service dans l’équipe des A aires non résolues, créée pour lui par Sandy Sandburg.
Après avoir porté l’insigne pendant un demi-siècle, Gerald Holman savait où pointer une arme pour tuer quelqu’un.
Alors pourquoi se tirer une balle dans la joue ?
Il me semblait qu’une seule réponse était possible, et elle n’apparaissait pas dans le rapport de la Division. D’après mes informations, à partir de ce que sa femme Phyllis, Sandy Sandburg et Lucian avaient laissé entendre, Gerald Holman avait fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait à aucun autre être humain.
Il s’était délibérément puni.

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