A la dérive ; Brunch ; Les calices de la colère
À la dérive
Radiographie du Chili des années 1990, de l'après dictature, en transition vers la démocratie. Le Chili du consensus politique et social : l'impératif de la réconciliation nationale impose l'oubli, le silence sur les crimes impunis de la dictature, oblige les victimes à cohabiter avec leurs tortionnaires. Cela pourrait aussi bien se passer dans n'importe quel pays divisé, déchiré au sortir d'une guerre civile ou d'une dictature.
Un immeuble dans la «zone» d'une grande ville, au bord du fleuve dont les eaux troubles recueillent et charrient les cadavres du passé, les secrets et les aspirations du présent. Un univers glauque : violence, meurtre, sexe, drogue. Les protagonistes portent les marques du passé récent : la veuve d'un détenu disparu enfermée dans son éternelle attente, le père livrant son fils aux narco-trafiquants, l'ancien tortionnaire devenu trafiquant de drogue qui récidive dans la violence, enfin les jeunes, héritiers de la violence familiale et sociale tentant de taire face au monde environnant qui les piège.
Brunch
Esteban, un jeune prisonnier, qui passe sa dernière nuit avant d'être exécuté, s'entretient avec Mario, son gardien et Claire, qui fait le ménage dans sa cellule. Tous les deux l'encouragent à terminer son roman, avant d'être exécuté. Esteban exploite dans son roman le «présent» et la réalité mise en scène devant les spectateurs. Il évoque Socrate, Gabriela Mistral, sa mère, la vie, l'au-delà...et il s'interrompt en imaginant les méthodes par lesquelles il pourrait être exécuté, méthodes cruelles dont Mario, ancien tortionnaire, garde aussi la mémoire. Claire les écoute et leur parle de son rêve d'être une Mère de la Place de Mai. Chacun pense à ce qu'il aurait voulu être et ne sera jamais.
Les calices de la colère
Un monologue à plusieurs voix, à la fois métaphore du théâtre et mise en perspective du présent dans la mémoire collective de l'histoire récente, ancienne et des récits mythologiques, bibliques. Dans le récit du Prophète visionnaire, revenu pour nous laisser les signes des temps à venir, s'intègrent ceux du jeune Pharaon, du berger de Fatima, de l'oublié, de l'officier tortionnaire, de Nubio, esclave du jeune Pharaon, tous réincarnations du même Esprit. Leurs récits, adressés au public, s'enchaînant sur le mode du roman picaresque, font surgir des fragments de l'histoire, de la barbarie sans cesse reproduite : sacrifices, fanatisme religieux, pouvoir dévastateur, décadences et chutes des empires, atrocités d'Auschwitz, dictatures, tortures, disparitions... Resterons-nous sourds aux signes que nous envoient ces voix et aux leçons de l'histoire ?
Extrait
Extrait de la préface :
Radiographie d'une écriture ou Les chemins d'une passion
Mon désir permanent de décontextualiser la réalité, de générer une convention de l'imaginaire, a été produit par les fractures survenues dans l'esprit de l'époque et dans les domaines dans lesquels je me suis immergé.
Je n'étais pas h priori attiré par le fait scénique, l'écriture et sa nécessité sont nées d'une dictature et d'un exil qui m'ont poussé à prendre la parole, non pas en tant que représentant d'une collectivité mais en tant qu'individu. Jeune exilé en Europe entre 1973 et 1981, j'ai ressenti le besoin de m'exprimer, au début à travers la photographie et le cinéma, puis par l'écriture dramatique.
Ma première oeuvre représentée (écrite en français) Opéra pour un naufrage (1981) avait pour thème la sensation de naufrage, ses personnages s'adonnant h des fantaisies grotesques : l'aristocrate qui collectionne des cerveaux de terroristes, la dame sur le retour qui s'invente un passé de beauté imaginaire, l'homme accroché h sa mascotte, la peluche «tucky tucky», tout ceci interférant avec la projection d'un film à la thématique parallèle. Ce trio donnera la mort aux personnages, errant h la recherche d'une utopie ou l'ayant perdu. «Ce furent eux les misérables qui, ayant cassé mon premier rêve, ont détruit la dernière utopie».
Après la création de mes premières oeuvres en Belgique il était évident pour moi qu'elles devraient être jouées à Santiago dans le contexte de la dictature de Pinochet.
Je ressentais l'urgence d'affirmer mon opposition a travers le théâtre, ne pouvant pas le faire par d'autres moyens.
Ainsi ce n'est pas l'intérêt pour la forme théâtrale en elle même qui a été à l'origine de mon écriture mais plutôt le besoin de disposer d'un moyen efficace d'expression pour me faire entendre et toucher le public, f'avais la ferme conviction quant au contenu et à la forme qu'il ne fallait pas reproduire leurs discours ni leurs visions et ceci aussi bien pour celles, monolithiques du régime autoritaire, que celles déjà répétitives de la dissidence théâtrale de gauche.
À Santiago, il me fallait trouver un espace scénique et un metteur en scène. Comme les deux faisaient défaut, j'ai décidé de mettre en scène moi-même et de créer un lieu de représentation. C'est pourquoi mes pièces écrites entre 1983 et 1988 font corps avec le lieu dans lequel elles sont nées.