3 minutes, 7 secondes
Le vol MU 729 pour Kyoto est la cible d'un missile balistique nord-coréen. Dans 3 minutes et 7 secondes, l’appareil et ses trois cent seize passagers seront touchés.
Présentation de l'éditeur
Le vol MU 729 fait la liaison entre Shanghai et Osaka. Au crépuscule, au-dessus de la mer de Chine orientale, un missile balistique nord-coréen fonce droit sur l'appareil et ses 316 passagers. L'information est transmise au pilote. Dans quelques instants, l'appareil sera détruit. Aucune échappatoire. Trois minutes et sept secondes, c'est le temps qu'il leur reste à vivre. C'est aussi l'ultime histoire de quelques-uns d'entre eux.
Extrait
Deux heures vingt, moins quinze minutes.
Seize minutes.
Lorsqu’il focalisait toute l’attention, le temps devenait physiquement palpable, quasiment doué de pouvoirs constricteurs. C’était un piège dont il était difficile de se prémunir, sauf à s’abstraire du monde ou à tenter de se leurrer soi-même avec des tâches inutiles. Nomura en avait l’habitude.
Au départ de Pu Dong ou de Beijing, il n’était pas rare que les choses s’engagent de travers. Ce soir, ce n’était pas à cause des conditions météo, ni d’un engorgement des pistes provoqué par une succession de retards, mais d’un problème de logistique concernant le transfert des bagages. L’avion était resté bloqué sur le tarmac durant près de vingt minutes.
Nomura avait imperceptiblement pincé les lèvres avant de vérifier la liste des contrôles effectués avant la validation de l’autorisation de vol. Dans la foulée, il parcourut le rôle d’équipage et du personnel naviguant. Uniquement des employés japonais, constata-t-il. Les choses rentreraient dans l’ordre. En outre, les courants aériens étaient favorables. Le vol MU 729 rattraperait son retard. Quitte à brûler plus de carburant que prévu et à perdre quelques points de notation interne. Ce n’était pas un défi. C’était une profession de foi confinant à la certitude, comme si la volonté du commandant avait déjà modifié le futur proche. Le MU 729 se poserait à l’heure à Ōsaka.
Deux heures vingt, moins dix-neuf minutes, avait à nouveau compté Nomura.
Il se tourna vers le siège de droite et adressa un léger hochement de tête à l’officier pilote. Même si ce dernier avait accès à toutes les commandes de vol, Nomura choisissait toujours le siège de gauche : le sens de l’écriture, mais surtout le côté où l’on portait le katana.
Prenant une lente inspiration, il plissa les yeux vers l’horizon désespérément plat et embrumé de pollution. Les légers vrombissements des réacteurs pulsaient doucement dans ses veines. Il soupira lentement, glissa la main dans la poche de sa veste et toucha du bout des doigts le petit sac de brocard et la cordelette nouée de l’omamori qu’il avait toujours sur lui. L’amulette était un kōtsū anzen et sa puissance spirituelle assurait la protection des conducteurs et voyageurs de toutes sortes. Puis Nomura décida de tuer le temps en parcourant le registre des licences et les certifications psychologiques du personnel navigant avant de vérifier, dans l’ordre, la connexion avec l’assistance météorologique et les systèmes de communication de données numériques et de communication vocale, les cartes aéronautiques, les systèmes radar de surveillance et les systèmes anticollision, le spectre des fréquences aéronautiques, et pour finir il échangea quelques mots avec le service de circulation aérienne, lequel l’informa de l’ASDA mise à sa disposition. Mais c’était le délai d’attente qui intéressait particulièrement Nomura.
Deux heures vingt, moins vingt-trois minutes, annonça-t-il à l’officier pilote lorsqu’il reçut la réponse définitive.