Les vents barbares
Un jeune garçon est recueilli par un général ivre de conquête qui l'entraîne sur les traces de son armée. Une fresque épique au rythme d’une chevauchée sur les steppes sibériennes.
Présentation de l'éditeur
1920, la Russie est déchirée par la guerre civile. Un groupe de cosaques s’apprête à massacrer une famille juive réfugiée aux confins de la Sibérie lorsqu’un mystérieux officier s’interpose et ordonne d’épargner un enfant. Le jeune garçon est recueilli par son sauveur : le baron Ungern-Sternberg. Cet ancien héros des bataillons du tsar mène une armée composée de deux mille cavaliers venus de tous les horizons : cosaques russes, Mongols, Kazakhs, Japonais...Son rêve : créer un empire à l’est du lac Baïkal pour mieux combattre la décadence de la civilisation occidentale.
À travers les yeux d’un enfant, Les Vents barbares nous entraîne pour une chevauchée inoubliable sur les steppes sibériennes. Philippe Chlous nous offre à la fois un formidable roman d’apprentissage et une grande fresque d’aventures aux accents épiques.
Extrait
Environs de Moscou, juillet 1968
Elle aspire le liquide tiède. La claque lui explose l’abdomen en une gerbe de sang. La femelle moustique est morte et le col de chemise taché. Borodine grimace et retient un juron. Son cou le démange. Il ferme les yeux, sort un large mouchoir et éponge son visage en sueur. Toute cette journée l’exaspère. Ce mariage, cette chaleur, cette maison, ce luxe indécent. Et puis il y a tous ces caciques du parti et du gouvernement avec leurs gueules de momie et leurs sourires de façade ouverts comme des lézardes. Il n’est pas à l’aise, Andrej Borodine. C’est un routinier, un méthodique, un artisan de l’efficace, un nettoyeur du système. Dans un dossier, rien ne lui échappe. Il observe, analyse et structure ses rapports comme un procureur sa plaidoirie. Bien sûr il connaît son surnom dans le service, la blatte, mais aujourd’hui il s’en moque. Il a longtemps ignoré qu’on l’appelait comme ça. Il pensait même être respecté pour la rigueur de son travail. Mais un soir, au moment de partir, en passant dans un couloir, son manteau sur les épaules, il avait entendu tout un groupe de jeunes sortis des académies et qui ne connaissent de la vie que l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, évoquer différentes affaires confidentielles en cours de « régularisation ». Ces imbéciles avaient laissé la porte ouverte et pour chaque cas pariaient en braillant sur la sentence à venir :
« Ivanov ! Lui ? Goulag ! Droski… Prison ! Huit ans… Non, dix ans ! Koutovski ! » Borodine, qui allait passer son chemin en maugréant, s’était arrêté. Il venait de boucler le cas Koutovski. « Koutovski ? C’est la blatte qui s’en occupe, non ? Alors… « Kaput ! » reprit en riant l’ensemble des voix. Borodine fut d’abord surpris, puis stupéfait en entendant ces jeunes officiers le traiter de « blatte », de « vermine », avant de glisser dangereusement vers « saloperie à moitié juive » ou « impuissant pédé qu’il fallait dégommer du service ». Il avait enfilé ses gants et rebroussé chemin sans un bruit. Tout cela, c’était il y a longtemps. Le surnom lui est certes resté, mais on le prononce aujourd’hui tout bas, depuis que ses inventeurs prennent le frais dans un « camp de vacances » à gratter du sel quelque part en Sibérie. Il voulait pour eux ce qu’il y avait de mieux et s’en était occupé avec beaucoup de rigueur. Le fonctionnaire s’arrête et regarde ses chaussures de mauvaise facture s’enfoncer dans le gazon tendre du vaste jardin. Il savait que les chefs avaient des datchas pour se reposer, mais cette maison, tout de même. Elle avait dû appartenir à un riche bourgeois ou peut-être à un aristocrate, comme celle de la pièce de Tchekhov. Il essaye de se souvenir de son nom. Une histoire d’arbres. Il fronce les sourcils et préfère se concentrer sur un magnifique parterre de fleurs planté pour l’occasion qui, imagine-t-il avec méchanceté, devrait bientôt crever avec cette chaleur plaquée sur Moscou. Borodine se tourne vers la demeure et se surprend à penser qu’il n’est pas envieux. Il se sent à sa place sur la pelouse à observer les fauves réunis par son hôte. Ce personnage n’en finit pas de l’intriguer. Il se souvient de cet après-midi où « IL » était venu dans son bureau. Ce qui en soi était déjà un événement. C’était d’ordinaire les autres, la boule au ventre, qui allaient vers lui. Il était entré. Il avait refermé la porte et l’avait regardé comme s’il essayait de retrouver en lui quelqu’un ou quelque chose. Borodine, et il en était fier, l’avait fixé avec le courage d’un condamné à mort refusant le bandeau.