White Spirit
Elle est arrivée de Bénin City pour profiter de l’argent suisse et payer les dettes de sa famille. Elle vit sous la coupe d’une proxénète qui détient son passeport et son juju, cette figurine sacrée qui lui permet de la contrôler.
Il conçoit des jeux vidéo fun-gore qui ont fait de lui une star. Il voyage à travers le monde d’hôtel de luxe en festival de geeks, ivre de drogues et vivant dans un univers parallèle où la fiction prend le pas sur la réalité.
Le soir où elle s’asperge de White spirit et s’immole par le feu pour mettre fin à tout, c’est lui qui la sauve. Il devient à ses yeux l’homme qui peut l’arracher à ses démons. Les voici liés pour le meilleur et pour le pire, unis par leurs folies et leurs obsessions, associés pour se sortir du guêpier où ils se sont fourrés.
Extrait
La nuit lâchait prise. Du lac montait une brume. Devant le Palais Bonheur, les derniers irréductibles chahutaient, avant de s’engouffrer dans des voitures de sport et de disparaître pied au plancher vers les hauteurs. C’était une heure entre deux mondes, au rendez-vous des paupières lourdes, des voix fêlées.
Un appel de phares leva Gifty. Elle longeait à pied la promenade déserte. Une érection solitaire cherchait une bouche, sinon un exutoire entre les jambes d’une relation tarifée. Elle ignora cet appel du devoir, n’exhiba pas sa jupe raccourcie au-delà de l’équivoque. Le chauffeur accéléra.
Le long du quai ne parvenaient que des grincements d’amarres depuis le terminal du ferry. Gifty tira sur sa perruque de cheveux noirs et lisses made in China. Son geste découvrit un crâne rasé au profil de bronze yoruba. Sans un regret, elle lâcha le postiche dans la panière d’une poubelle. C’était une heure fantasque, dangereuse, surtout quand une résolution était prise. L’heure des abandons, des métamorphoses.
Plus loin sur la promenade se dressait le bronze noir de Freddie Mercury, debout, poing levé, dans son costume de scène du concert de Wembley en 1986. « If you want peace of soul, come to Montreux », avait dit le chanteur, avant d’être dévoré par un mal venu de la forêt. Gifty craignait cette maladie, mais davantage ses forces obscures, sachant que, malgré sa voix magique, Freddie Mercury y avait succombé.