Le bagne des fous
L'histoire du « quartier de sûreté, réservé aux aliénés criminels, vicieux, difficiles, habitués des asiles », ouvert au sein de l'asile de Villejuif. Plus de 2 500 hommes y ont été internés entre 1910 et 1960.
Véronique Fau-Vincenti est docteure en histoire, elle travaille sur l'histoire de la psychiatrie médico-légale et sur l'imprégnation sociétale de l'aliénisme.
Présentation de l'éditeur
Un « quartier de sûreté, réservé aux aliénés criminels, vicieux, difficiles, habitués des asiles », a ouvert au sein de l'asile de Villejuif le 3 mars 1910. Plus de 2 500 hommes y ont été internés entre 1910 et 1960.
Regroupés sous le qualificatif d'aliénés difficiles par commodité et par euphémisme, l'internement de ces hommes dénote de l'appréhension médico-judiciaire d'individus reconnus aliénés. D'aucuns de ses médecins-chefs qualifiaient la section de première réalisation en France d'une « idée grandiose », soit « l'alliance de la criminologie et de la médecine », révélant la porosité entre ces deux domaines. Délinquants multirécidivistes, criminels d'occasion, simulateurs de troubles mentaux, collaborateurs, fils de bonne famille dévoyés, mais encore désaffiliés au ban de la société se sont ainsi côtoyés dans cet espace à la fois établissement de défense sociale à la française, infirmerie pénitentiaire et survivance de l'Hôpital général.
L'histoire de la 3e section de l'asile de Villejuif, surnommée « le bagne des fous » dans la presse - puis baptisée section Henri-Colin en l'honneur de son concepteur - permet de dévoiler un pan méconnu de l'histoire de la prise en charge psychiatrique dans un espace où mandat sécuritaire et mission hospitalière ont rivalisé.
Extrait
« Vous avouerez que mon aspect pathologique était une raison bien vague pour m’arrêter et le délit de vagabondage un motif bien incertain pour me retenir, vérification faite de mon identité […]. Il m’est impossible de pactiser avec les psychiatres, impossible de souffrir des geôliers. Si dans l’affirmation de ma révolte, je ne vais pas jusqu’au meurtre c’est qu’alors, je me trouverais définitivement votre prisonnier. […]. Je n’ai rien à vous dire de mes sentiments votre égard, sinon toute mon admiration pour le malade D. qui, après avoir passé une douzaine d’années dans des maisons de fous, essaye périodiquement d’assommer ses gardiens. »
Ainsi s’adressait le 4 février 1950 le jeune poète surréaliste Stanislas Rodanski au médecin-chef de la section Henri-Colin de l’hôpital psychiatrique de Villejuif où avait ouvert le 3 mars 1910 un « quartier de sûreté » réservé aux « aliénés criminels, vicieux, difficiles, habitués des asiles ».
Centenaire désormais, ce lieu eut diverses appellations. À commencer par une dénomination pragmatique soit « la 3e section de l’asile de Villejuif » avant d’être baptisée le 16 mars 1932, lors d’une cérémonie officielle et festive, « section Henri-Colin » en hommage à son concepteur et médecin-chef de 1910 à 1921.
Désignée depuis le 5 juin 1950 comme service pour « malades mentaux difficiles » par le Ministère de la Santé publique, la section fut alors appelée à accueillir trois « catégories distinctes de malades » à savoir « les malades agités [...], les déséquilibrés antisociaux, médicaux-légaux ou non [...] » et les « grands déséquilibrés antisociaux, généralement médico-légaux [...] à condition qu’ils présentent des troubles graves du comportement ».
Puis, suite au décret n°86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique et à l’arrêté du 14 octobre 1986 relatif au règlement intérieur des unités pour malades difficiles, l’appellation Unité pour malades difficiles – sous l’acronyme UMD – a conforté plusieurs décennies d’approches et de prise en charge de « l’aliéné difficile », devenu au fil du temps un « malade difficile ».