Espionne
Passionnée, moderne, aventurière, libre et courageuse, Marthe Richard retrace dans ce récit son destin de femme pas comme les autres qui embrassa son époque, ses chaos, ses rêves et ses révoltes.
Présentation de l'éditeur
Elle est couturière à Nancy, ouvreuse dans un théâtre parisienne, maîtresse d’un riche commerçant, aviatrice parmi les premières à s’illustrer dans les démonstrations de pilotage. Puis elle devient espionne pendant la Première Guerre mondiale, épouse d’un dirigeant de la fondation Rockefeller, résistante, femme politique engagée dans la lutte pour les droits des femmes...
Passionnée, moderne, aventurière, libre et courageuse, Marthe Richard retrace dans ce récit son destin de femme pas comme les autres qui embrassa son époque, ses chaos, ses rêves et ses révoltes.
Extrait
Marthe Betenfeld
Le printemps n’avait pas encore un mois. Cependant en dépit du rude climat lorrain, en cette lointaine année de 1889, Blâmont, la petite bourgade ensorcelante par son charme désuet, offre aux passants l’impression d’un village paisible et doux. Sur la route, la plus populaire de l’époque napoléonienne, les attelages sont salués par les oiseaux pépiant dans les arbres qui bordent la Vezouze, où, déjà, les lavandières réunies tapent, secouent et frottent le linge qu’elles iront étendre sur le pré, au grand désespoir des pêcheurs qui dès l’aube tentent de leur hameçon les poissons plutôt rares dans la rivière qui serpente à travers le village. En ce 15 avril, ni les chants alternés des lavandières ni le doux clapotis de la Vezouze ne parviennent à apaiser l’inquiétude du père Louis, qui va et vient dans la grande salle de sa maison Louis Betenfeld a confié ses deux aînés, Jeanne et Camille, à des amis, parce qu’il trouve inconvenant de leur laisser deviner ou comprendre comment les enfants viennent au monde. Son épouse, alitée depuis deux jours, attend son troisième bébé, et le médecin ne comprend pas pourquoi ce travail est retardé. Après des heures d’inquiétude, à la tombée du second jour, il entrouvre la porte de la chambre où repose la parturiente et crie au papa : « Une fille, mais n’entrez pas, n’entrez pas encore… attendez » Attendre ? Louis le fait depuis quarante-huit heures ! L’angoisse le tenaille Sa femme est-elle en danger ? Il l’aime de tout son cœur, et à cette pensée, n’y tenant plus, ouvre brusquement la porte de la chambre. Avec stupéfaction, il voit alors la sage-femme venue aider le docteur placer de chaque côté de la maman un fragile bébé.
– Quoi ? interroge-t-il Il y en a deux ? Alors, ce sont des jumeaux…
– Non, dit le docteur, deux jumelles, deux filles. Déjà il les aime, et il rit de cette bonne farce du Bon Dieu !
– On les appellera Berthe et Marthe, déclare-t-il à son épouse dolente Berthe ne vivra pas, mais Marthe, la plus robuste, c’est moi Née Marthe Betenfeld en ce doux crépuscule du 15 avril 1889, je deviendrai, adorée et haïe tout ensemble, Marthe Richard, « l’espionne au service de la France » Avant cela, bien des années vont s’écouler.