Ce que ça fait de tuer
Rome, 2016. Deux jeunes décident de torturer et tuer, pour voir ce que ça fait. Un récit saisissant sur le fait divers, son traitement médiatique et un certain nihilisme d’une jeunesse dorée.
Présentation de l'éditeur
Rome, 2016. Deux trentenaires, Marco Prato et Manuel Joffo font la fête et au milieu de leurs excès, ont une nouvelle idée : torturer et tuer, pour voir ce que ça fait. Un jeune prostitué est attiré dans le guet-apens, drogué et soumis à ces pulsions macabres. Le lendemain, l’un des jeunes hommes tentera de se suicider, l’autre se rendra à la police...
Au-delà de la gratuité de ce sordide crime, la presse transalpine se passionne pour le profil des deux assassins, jeunes hommes de bonnes familles et sans histoire. Les témoignages des pères dans les émissions télévisées de grande audience, le silence des mères, les réactions des proches de la victime sont tout autant le sujet de ce texte qui nous parle d’une jeunesse nihiliste prête à toute pour se sentir exister.
Extrait
Chill out. Dans le jargon de la movida romaine, ce terme désigne une orgie à base d’alcools, de drogues dures et de sexe extrême : du chemsex. Ces festins peuvent durer deux, trois jours ou plus. Ils se consomment dans des appartements anonymes. À des amis de longue date se mêlent de parfaits inconnus, recrutés sur des sites de rencontre – après quoi, on se sépare gentiment, cherchant à oublier et, surtout, à se faire oublier.
Ce ne fut pas le cas de Manuel Foffo, sans profession, et de Marco Prato, gérant d’un local à la mode. Épuisés, mais pas rassasiés après leur chill out intensif, ils décidèrent de tuer quelqu’un, n’importe qui – mais leur traque dans les rues désertes de Rome s’avéra infructueuse. Une fois rentrés dans l’appartement de Foffo, Prato décida qu’ils choisiraient leur victime au hasard de ses propres connaissances, les appelant via le portable de Manuel, son numéro n’étant pas très honorablement connu. Les contactés – des personnages plus ou moins célèbres – lui raccrochèrent au nez, ou effacèrent son SMS aussitôt vu. Le seul qui donna suite fut Luca Varani, un garçon natif de Sarajevo, adopté par une famille honnête et travailleuse qui n’avait pas su lui inculquer leurs valeurs : à vingt-trois ans, Luca avait décroché des études, rêvait d’argent facile et enchaînait les petits boulots sans hésiter à saisir les occasions susceptibles d’arrondir ses revenus : de petits deals de drogue, de la prostitution occasionnelle… C’est pourquoi il accepta – pour 120 € – de se rendre à une adresse inconnue, dans un quartier excentré de la banlieue est de Rome, où il fut drogué et torturé pendant deux heures. Son autopsie révéla une centaine de coups de couteau et de marteau, infligés dans le seul but de le martyriser le plus longtemps possible.
Dès son premier interrogatoire, Foffo déclara que son complice et lui n’avaient aucune animosité contre leur victime : ils avaient juste voulu éprouver ce que ça fait de tuer.
Aussitôt, les spots de la presse, des médias et des réseaux sociaux se braquèrent sur le duo diabolique que formaient le petit roi des nuits romaines et l’éternel étudiant fils d’un restaurateur plutôt bien côté, Valter Foffo : un self-made-man venu du Sud, devenu riche, mais resté naïf, au point de se faire piéger, au lendemain des aveux de son fils, dans un talk-show en direct, diffusé à une heure de grande écoute. Sa malheureuse phrase Manuel, mon fiston, est un garçon modèle fut relayée et ridiculisée un peu partout. Chose sûre, les dires de Foffo père n’allégèrent point l’opprobre déversé sur son fils, bien au contraire : les haters des réseaux sociaux s’en donnèrent à cœur joie.