Ici finit le monde occidental

Auteur : Matthieu Gousseff
Editeur : Manufacture des livres
En deux mots...

Laboratoire pharmaceutique pactisant avec l'armée, marins russes bloqués à Brest, tests scientifiques fumeux, souris et mini-porcs...Un roman noir fantasque sur les dérives du monde occidental.

20,90 €
Parution : Septembre 2020
400 pages
ISBN : 978-2-3588-7644-5
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Présentation de l'éditeur

À Brest, Atlantest est un laboratoire pharmaceutique mystérieux. Au sein du bâtiment B2, des tests sont organisés en partenariat avec l’armée pour mettre au point un nouveau patch contre la fièvre et d’autres substances aux finalités moins louables. Mais la tête de cette entreprise, Thierry Lorentz a fui. Et avant de disparaître, il s’en est pris au ministre de l’Économie et au secrétaire général d’un grand syndicat. Maintenant nombreux sont ceux prêts à tout pour mettre la main sur lui.
Dans ce roman noir fantasque, Matthieu Gousseff orchestre une valse trépidante pour souris, médecins, marins russes, spécialistes animaliers, militaires et investisseurs de tous bords. Et c’est ainsi que vacille notre monde occidental.

Extrait

On imagine que ça se passe ailleurs, dans les prisons de Guantánamo ou d’Abou Graïb, dans le sous-sol d’un bâtiment officiel en plein cœur de Damas ou de Moscou, de toute façon pas dans une vraie démocratie, enfin, au moins, pas chez nous, on se dit que ça n’arrive qu’aux traîtres, aux héros, ou aux lanceurs d’alerte, qui sont sûrement un peu les deux, en tout cas à des types qui l’ont un peu cherché d’une façon ou d’une autre, et on se retrouve ligoté à sa chaise de bureau, à compter les secondes avant le prochain coup de serviette mouillée. Au premier coup, c’est le poids qui surprend, et le froid, mais si on laisse la tête partir sur le côté, sans trop résister, ça ne fait pas si mal et on se dit qu’un simple coup de poing serait plus efficace. – Thomas, vous n’êtes paîs idiot, n’est-ce pas ? Il y a encore une heure ils l’appelaient Monsieur Le Corre. Ils ont tort de passer à Thomas. C’est encore un peu tôt pour la jouer gentil flic, un peu tôt pour la familiarité. Monsieur, ça avait quelque chose de flippant. L’eau froide ruisselle sur la joue de Thomas Le Corre, son cou et trempe son T-shirt, l’alourdit, et il sent le col tirer sur ses épaules.
– Vous avez envie que ça s’arrête ? Moi aussi. Monsieur Sadio aussi. N’est-ce pas, Monsieur Sadio ?
Monsieur Sadio répond « oui, Mon Colonel », mais il a l’air ennuyé. Pire, il a l’air de s’ennuyer. Il avait déjà amoché des types, et des plus fluets, des toxicos – les toxicos ont toujours l’air fragile, mais ce sont les plus dangereux, parce que contrairement aux poivrots fêtards, c’est quand ils ne sont pas défoncés qu’ils s’en prennent à vous, et alors ils sont en manque, et alors ils sont vicieux – mais c’était quand il bossait au Mélo, quand il était videur.
Déjà, quand il était adolescent, avant de quitter le Sénégal, quand il jouait les gros bras à l’Iguane Café, à Saint Louis, au bord du fleuve, les blancs qui faisaient le plus de dégâts n’étaient pas les expatriés alcoolos que sa carrure suffisait à mettre dehors. C’était les rares blanches à qui leurs gigolos fournissaient de l’héroïne, et qui finissaient par essayer de vous crever un œil en vous traitant de négro. Ça lui avait servi d’entraînement quand il avait débarqué à Brest, au Mélo, la boîte de nuit où il avait trouvé du travail. Au black, ironie du vocabulaire.
Et puis Le Mélo avait fermé, il était entré à Ouest Sécurité, il avait vieilli, et, depuis 4 ans, chaque jour ouvrable, il avait regardé le badge de Thomas Le Corre. Chaque jour, Thomas l’avait regardé dans les yeux, l’avait salué poliment et avait essayé d’entamer la conversation. Monsieur Sadio, chaque jour, s’était contenté d’un « je vous ouvre, bonne journée », parce que la sollicitude du blanc bien placé pour le noir vigile ou aide-soignant ou technicien de surface, on sait que c’est juste une façon de se donner une bonne conscience. Mais Monsieur Sadio s’était rendu compte que Thomas parlait de la même façon aux standardistes blanches, ou au docteur Lorentz. Thomas Le Corre était un cas rare d’authentique gentil. Il avait un visage trop rond, des cheveux trop blonds, trop longs, maintenus en queue-de-cheval par un élastique trop lâche, et seule une barbe clairsemée rappelait que ces yeux clairs et étonnés étaient ceux d’un adulte. Maintenant, Monsieur Sadio évite de croiser ce regard étonné et il lui tape sur la gueule. L’authentique gentil, lui, essaye de rester concentré. Lorsque la serviette arrive, il faut accompagner le mouvement. Si on part trop tôt, la serviette vous cueille en fin de course, et c’est pire, parce qu’on ne peut plus du tout absorber le choc. Ça tire sur les muscles du cou, et le tissu imprime plus profondément son motif dans la joue, on sent la bordure de la serviette, ses plis irréguliers, et même la texture avec les poils épais gorgés de liquide glacé.

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