Manaus
D'abord, il doit passer inaperçu parmi l'escorte qui accompagne de Gaulle en Argentine. Une fois sur place, accomplir sa mission. Simplement, efficacement, sans poser de question. Trouver le contact, approcher la cible, l'éliminer. Puis, toujours invisible, retourner en France.
C'est alors qu'on lui annonce que sa route passera finalement par Manaus où l'on a besoin de lui. Dans cette ville brésilienne spéculent les anciens partisans de l'Algérie française en exil, des nazis ayant fui la chute de leur monde, les chefs des cartels de drogue latinos.
Là, il devra seconder un français lors de négociations troubles. Mais cet homme qu'il retrouve à Manaus n'est pas un inconnu. C'est au contraire le dérangeant témoin d'un passé qu'il aurait aimé oublier.
Dans la moiteur de cette jungle amazonienne où les règles n'existent plus et où la trahison devient le mot d'ordre, Dominique Forma nous livre un roman aussi noir que cinglant.
Extrait
1. El Espinillo, province de Formosa, Argentine.
J’ai goût pour l’obéissance.
La mienne, comme celles des autres.
A chacun sa place ; se surestimer n’est pas un péché, c’est une faute impardonnable. A tendre le cou vers le ciel, on se tord les pieds.
Les esprits libres, ceux méritant de l’être, je les compte sur les doigts d’une main brulée. Les autres, nous autres, il vaut mieux qu’on la ferme ; les yeux baissés, accomplissons la tâche qui nous est attribuée.
Obéir rassure sur les improbables raisons expliquant notre existence.
Surtout, je parle là de ma propre expérience, obéir prévient de trahir. Moi, j’obéis sans poser de questions. Pourquoi ? Parce que je suis un soldat.
L’obéissance est la vertu cardinale du militaire, le courage vient ensuite. Ceux qui faillissent à cette règle, en abandonnant la légalité, deviennent des déserteurs. Lors du putsch contre De Gaulle, en Avril 61, j’ai vu mes amis, des hommes, qui m’impressionnaient et que je respectais, faire sécession. Des Saint-Cyriens, des légionnaires, des parachutistes, des types formidables qui avaient survécu à l’Indochine et étaient revenus de Dien Bien Phu. Je les ai vu refusé les ordres, et en appeler à renverser le gouvernement pour que l’Algérie demeure française.
C’était il y a trois ans, une autre époque ; trois années, une éternité en somme.
Dans le courant de l’après-midi du 21 septembre, nous atterrissons à Caracas ; c’est la première fois que je pose le pied au Venezuela. Je suis un anonyme, parmi les 37 subordonnés de l’Etat, dont quatre gardes du corps spécialistes de la protection rapprochée, perdu dans la cohorte des officiers, diplomates et haut-fonctionnaires qui ont été choisi pour accompagner et faciliter la tâche du président de la république durant sa tournée latinoaméricaine, laquelle durera 26 jours et se terminera à Rio de Janeiro le 16 octobre.
La prudence et les protocoles gérant les interventions des membres du service Action m’interdisent toute proximité publique avec les officiels de l’état. Mais l’urgence de la situation, le créneau exceptionnel qui se présente pour intervenir, ont poussé mes supérieurs à sursoir aux règles habituelles de sécurité.
Si on me repère, m’arrête, ou m’exécute, avant mon retour sur le territoire national, l’Etat niera tout responsabilité ; les Services affirmeront sur ce qu’il y a de plus sacré, la constitution par exemple, ne pas me compter parmi leurs employés. Il est entendu qu’on salira ma mémoire si nécessaire, qu’on dénaturera mon histoire afin de couper court à toute supposition reliant ma mission en lien avec la France. Personne ne me regrettera, personne ne saura jamais qui je suis. Si on venait à me torturer, il serait impossible pour mes tortionnaires d’obtenir la preuve intangible que je sois un agent opérant pour le compte du SA, le service Action.
Evidement, n‘étant pas en Amérique du sud, ma mission n’existe pas.