Le grisbi : Intégrale
Max, dit le Menteur, vétéran des truands parisiens, s'apprête à se ranger. Le milieu, il en a fait le tour, en a tiré le meilleur parti et ne le regrettera pas. D'autant que ce monde est en train de changer : les vendeurs de came gagnent du terrain, les truands s'internationalisent, le code d'honneur n'a pas l'air de préoccuper la jeunesse.
Seulement quitter les «affaires», ça ne se fait pas en un clin d'oeil. Il y a les vieux amis qui vous demandent un dernier service, la relève à organiser, l'avenir à assurer.
Réunis en un seul volume, les romans de la trilogie de Max le menteur sont un monument de la culture française populaire, immortalisés par des films de légende (Touchez pas au grisbi, Le cave se rebiffe et Les Tontons flingueurs). Plongeon dans un Paris qui n'est plus et où résonne la gouaille des truands, l'oeuvre de Simonin sublime le monde des voyous et lui a ouvert les portes de la littérature française.
Extrait
Pensant avoir mal compris, tout le monde s’était tu. On n’entendit plus soudain que le bruit mou de la houpette avec laquelle Josy, la môme de Riton, se tamponnait le visage. Machinalement, la mère Bouche avait mis en veilleuse la rampe du percolateur qui sifflait un peu. — Ton Riton, je m’en vais le fourrer, répéta le petit Frédo en se levant. Devant le zinc, personne mouftait. Chacun pouvait en penser ce qu’il voulait, de cette provocation. A moi, ça rappelait la lecture du verdict au procès de Paulo-le-Pâle, l’instant où le président avait annoncé que Paulo y allait du cigare. Pour le petit Frédo, c’était du kif, sauf qu’il venait lui-même de prononcer sa condamnation. En supposant même qu’il rencontre pas Riton, ou bien qu’il mesure à temps la connerie de son attitude, rien que pour avoir lâché ce vanne, il lui restait vingt-quatre heures à vivre, au mieux. C’était le coup sûr, catalogué !
Quand la porte eut claqué sur lui, le silence persista. Au zinc, Larpin et Maffeux, les deux bourres, restaient muets eux aussi. Depuis une demi-heure qu’ils s’accrochaient au comptoir, les condés, on pouvait se demander pour qui ils étaient là. Peut-être n’étaient-ils entrés qu’en sondeurs, au flanc.
Maintenant, ils semblaient plus décidés à les mettre ! La salade du petit Frédo, c’était une vraie providence pour eux ; dès qu’on allait le trouver buté, Riton descendrait au bing, d’autor. Surtout que des piqueurs, de nos jours, on en rencontre plus des bottes. La rapière, c’était son point fort, au Riton. Il restait fidèle au genre de sa jeunesse, à l’école de Montreuil, des lafs. La fantasia rue Fontaine, les pétarades spectaculaires, le Far-West square Vintimille, ça le faisait un brin marrer. La saccagne en main, y avait pas plus dangereux ; personne l’ignorait. Peu à peu, forcément, on s’est remis à jacter, en sourdine. Léo-le-Flamand, Feufeu, et Pierrot-Belle-Jambe ont repris leur rami. Moi, je tournais un peu le dos aux rapers et j’essayais de rambiner Josy qui voulait à toute force téléphoner à son Jules. Lola, sa pote, elle était d’avis qu’elle le fasse. Pour morfler une bonne inculpation de complicité, je voyais rien de plus garanti, à mon sens. Puisque de toute manière le petit Frédo était repassé à l’avance, ça valait réellement pas la peine de se mouiller ! Pendant plus de trois quarts d’heure, on est tous restés là, à feinter. C’est Larpin, un des poulets, qui a téléphoné le premier, sans quitter la salle des yeux. Il avait rejeté son bada en arrière, comme dans les films. On l’a vu faire une petite grimace, parler plus vite, plus vite encore, attendre, puis raccrocher. En sortant de la cabine, il nous a tous frimés, le regard un peu flou, et a annoncé doucement :
— Le petit Frédo… On vient de le trouver, rue Froidevaux, le long du cimetière Montparnasse… Il était mort !