L'espion qui venait du livre

Auteur : Luc Chomarat
Editeur : Manufacture de livres

Bob Dumont, agent secret, combat sans cesse le maléfique Igor. D’aventure en aventure, notre héros surentraîné au charme dévastateur lutte pour l’empêcher de devenir le maître du monde. Mais au détour d’une rue de Singapour, alors qu’il quitte les bras d’une hôtesse de l’air, Dumont tombe sur un adversaire d’une autre trempe. Delafeuille, éditeur parisien, n’a pas l’intention d’ingurgiter une fois de plus les clichés invraisemblables, racistes et sexistes de ce roman. Le monde du livre a changé, les lecteurs ont d’autres exigences. Pour donner un nouveau souffle à cette histoire, l’éditeur a décidé de rentrer dans le récit, de récupérer Bob Dumont et de l’emmener chez John Davis, l’auteur, histoire d’avoir entre hommes une petite conversation…

Avec ce pastiche de roman d’espionnage inventif et surprenant, Luc Chomarat nous entraîne dans un imbroglio romanesque des plus réjouissants. Course-poursuites et scènes de combat se mêlent à un portrait plein d’humour des auteurs et des éditeurs, et à une étonnante réflexion sur le sens de la littérature.

16,90 €
Parution : Juin 2022
176 pages
ISBN : 978-2-3588-7865-4
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Extrait

Le Jumbo en provenance de Los Angeles venait de s’immobiliser en bout de piste. Bob Dumont jeta un coup d’œil par le hublot. Singapour, à nouveau. Ses yeux, des yeux qui avaient la couleur et la dureté de l’acier, se plissèrent. Son dernier séjour chez les Jaunes avait été plutôt mouvementé et lui laissait un goût amer dans la bouche.
Se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes. C’est mieux. Ses yeux, des yeux qui avaient la couleur et la dureté de l’acier, se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes. Son dernier séjour chez les Jaunes avait été…
Ce n’était certes pas son premier séjour chez les Jaunes. Comme toujours, il avait le goût du sang dans la bouche.
C’est mieux.
Il défit sa ceinture, fit jouer ses muscles souples, vérifia que son Beretto était bien calé dans son holster. L’hôtesse, une blonde longue et ferme dont le chemisier se tendait à craquer sur une paire en béton, lui adressa un sourire radieux. L’hôtesse…
L’hôtesse, une blonde longue et ferme dont le chemisier strict se tendait à craquer sur une paire de seins. L’hôtesse. L’hôtesse, une blonde longue et ferme dont le petit chemisier strict était plein à craquer d’une paire de seins énormes, lui adressa un sourire radieux. L’hôtesse, une grande blonde souple et svelte dont le petit chemisier strict craquait sous la pression de deux. Bon, on verra après. Lui adressa un sourire radieux.
D’instinct, il sut que cette marque de sympathie était destinée plus à l’homme qu’au passager. Elle avait une bouche intéressante et Bob lui rendit la politesse sans se faire prier.
Elle avait une bouche large, couleur de tulipe fraîche et Bob lui rendit la politesse sans se faire prier.
Craquait sous la pression de deux seins… Se déchirait aux coutures…
On verra après.
– Bon séjour à Singapour, Monsieur, dit-elle d’une voix de gorge très prometteuse.
– Si nous pouvons nous revoir, il le sera, fit Bob avec chaleur. Durement. – Si nous pouvons nous revoir, il le sera, fit Bob durement.
Il menait une existence mouvementée, qui pouvait se terminer brutalement à tout instant. Aussi ne perdait-il pas de temps en préliminaires.
– Je n’osais pas vous le proposer, avoua-t-elle, ses grands yeux turquoise rivés à ceux de Dumont. Je reste quelques jours avant de repartir pour Tokyo…
Il la détailla de haut en bas. Elle était décidément carrossée à son goût.
– Nous trouverons certainement une occasion, ma belle. Où êtes-vous descendue ?
– Je suis au Caesar Palace.
Il se leva, récupéra son sac de voyage.
– À très bientôt, dit-il aimablement.


Une heure plus tard, Bob pénétrait dans les toilettes pour hommes du Mah-Jong, le fameux centre commercial robotisé. Un petit homme se tenait devant les lavabos, très occupé à se laver les mains depuis une demi-heure. Bob s’approcha. L’homme portait un exemplaire du Wall Street Journal dans la poche droite de sa veste.
– Qu’est-ce que vous avez pour moi ? Je suis Dumont.
– Oui, j’ai étudié vos photos.
– Méfiez-vous des cyborgs. Alors ?
L’homme au journal jeta un coup d’œil inquiet autour de lui. Bob ne connaissait pas son nom, ne savait rien de lui. Il savait juste où le retrouver et à quoi le reconnaître. Le service était plus cloisonné que jamais, depuis le 11 Septembre.
– Il paraît que vous êtes le meilleur, Dumont. J’espère que c’est vrai, parce que ce qui nous arrive dessus n’est pas une plaisanterie.
– Al-Qaïda ?
– Vous pouvez oublier Al-Qaïda. Si mes sources sont exactes, nous allons devoir faire face à une menace bien plus terrible.
– Abrégez. Je ne suis pas un enfant de chœur.
À nouveau, le petit homme regarda autour de lui. Dans une des cabines, quelqu’un déféquait bruyamment.
– Voilà… Tenez-vous bien. Le tsunami qui a ravagé tout le sud de l’Asie et causé la mort de cent cinquante mille personnes n’avait probablement pas des causes naturelles.
Le visage de Bob demeura impénétrable.
– Si c’est vrai, qui est derrière cette opération ?
L’autre haussa les épaules.
– Igor bien sûr. Qui d’autre, à votre avis, est à ce point acharné à la destruction de l’humanité, sans aucune discrimination de quelque nature que ce soit, politique, religieuse, idéologique…
– Igor… (Les yeux de Bob se plissèrent.) Il n’est donc pas mort…
Jusqu’à n’être plus que deux fentes. Les yeux de Bob se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes. Il me faut un petit café. Est-ce qu’il me reste des filtres ?
Racheter des filtres. PENSER À CHANGER LA BOUTEILLE DE PROPANE.

– C’est agaçant, toutes ces petites interruptions…
– Que voulez-vous dire? interrogea Bob.
– Vous n’avez pas remarqué ?
– Mais de quoi diable parlez-vous ?
– Rien, rien… Où en étions-nous ?
– Igor… (Les yeux de Bob se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes meurtrières.) Il n’est donc pas mort…
– Non, confirma le petit homme. On reconnaît sa signature… C’est monstrueux.
– La fiabilité des sources ? – Plus de 75%. Un standard particulièrement élevé, comme vous devez le savoir. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que cela signifie ? Si l’opération est reconduite avec succès au large de la Floride, le 11 Septembre fera figure de plaisanterie dans les livres d’histoire.
– Oui, j’avais compris.
Un bruit de chasse d’eau les fit se retourner. Un Jaune en chemise à fleurs sortit d’une cabine en souriant. Rien qu’un inoffensif autochtone, pour qui n’avait pas l’œil exercé de Dumont.
– Couchez-vous, prononça-t-il.
Trop tard. Le tueur fit jaillir un pistolet-mitrailleur Uzi et arrosa le décor sans faire de détail, perforant l’homme au Wall Street Journal sur toute sa hauteur. S’abritant aussitôt derrière le cadavre, Dumont le propulsa sur le tueur. Le souffle coupé, le Jaune tomba à genoux. Dumont lui encastra la tête dans une vespasienne. Le Jaune, à moitié aveugle, glissa dans une flaque de sang, atterrit violemment sur la céramique en vidant son chargeur au hasard. D’un atémi bien placé, Dumont lui brisa la nuque.
Un silence surréel succéda au sifflement ininterrompu des projectiles.
– On dirait que mon incognito a fait long feu, remarqua Dumont.
L’Uzi était équipé d’un réducteur de son. À l’extérieur, le massacre était probablement passé inaperçu. Si personne ne pointait son nez dans les soixante secondes, on échapperait à bien des complications avec les autorités locales.
Il se recoiffa rapidement devant la glace au-dessus du lavabo et quitta les lieux, à temps pour croiser une escouade d’uniformes armés jusqu’aux dents. Prenant son air de touriste, Dumont gagna la sortie en s’efforçant de marcher lentement. Sitôt à l’extérieur, il appela un taxi.
– Démarre, dit-il à l’autochtone affable et bridé qui lui souriait de ses deux dents.
– Oui sahib.
Le Jaune s’exécuta. Confortablement calé dans le fond du véhicule, Dumont alluma une cigarette Gold et détendit ses muscles un à un.
– Où allons-nous, sahib ?
Bob réfléchit. Visiblement tout le monde à Singapour était au courant de son arrivée. Un comité d’accueil devait l’attendre à son hôtel. Il fallait improviser. L’hôtesse ? Bob consulta sa montre. Il fallait laisser à la dame le temps de défaire ses valises.
– Emmène-moi visiter quelque chose.
– Oui sahib. Temple du Lotus Rouge.
– Tout ce que tu voudras.

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