L'apparence du vivant
Une jeune photographe fascinée par la mort est engagée pour prendre soin d’un couple de vieillards, les Martin, propriétaires d’un ancien funérarium. Une maison figée dans le temps, dans un quartier fantôme de Liège, soustraite aux regards par une rangée de tilleuls. Captivée par ce décor, la jeune femme s’installe à demeure. Entre elle et madame Martin naît une complicité tendre, sous la surveillance placide de monsieur Martin. Lors de leurs promenades au bord du canal, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Ce serait bien mal les connaître. Madame Martin possède une collection d’animaux naturalisés, fruit d’un travail de toute une vie. Elle tient à enseigner son savoir-faire à sa protégée. La jeune femme apprend donc, patiemment, minutieusement, l’art de la taxidermie, sur toutes sortes de cobayes. Car un jour, elle devra être prête pour accomplir son Grand-Œuvre.
Un premier roman radical, d’où émerge, à travers la noirceur et la cruauté, la douceur d’un amour filial.
Extrait
Elle me demande plusieurs fois par jour que je l’achève. « Bientôt madame Martin. »
Elle ressemble à une tox à force d’être vieille. Ses os sont pointus comme des menaces. Son crâne est couvert d’eczéma, balayé de longues mèches blanches qui me restent parfois dans les mains. Sa peau est parcourue de taches mauves qui sont déjà mortes.
Je pieute au dernier étage, sous les toits. Eux dorment au rez-de-chaussée. Ils ont fait fortune dans les pompes funèbres. On se partage un funérarium désaffecté. On vit en tête à tête avec monsieur Martin qui nous surveille, couché dans leur grand lit. Son corps ne bouge plus, ça fait des années. On continue à lui parler. Un peu comme s’il était mort, sauf qu’on peut le toucher.
« Tu vas y arriver ? » Je les veille nuit et jour. C’est presque fini.
Leur fortune, ils l’ont amassée lentement. Elle repose au deuxième étage, enfermée dans des cercueils que je dois vider. Des dizaines de kilos de billets rangés par liasses. Le secret de la richesse, c’est que chaque centime compte. La vieille m’a tout appris. Ça et le reste.