P.m. Ziegler peintre
Pierre-Marie Ziegler est peintre, absolument. Pour lui, la peinture et la vie sont une seule aventure. Très tôt enclin au sentiment d’être inadapté au monde tel qu’il va, il fait de la création le lieu où se rendre présent à lui-même. Un lieu où le réel prend corps. Mais l’art, quand il est intensément vécu, n’est pas un refuge ; il est une perpétuelle remise en jeu. Il est à la fois ce qui sauve et ce qui met en péril, ce qui apaise et ce qui dévore.
Ce récit est une « vie », au sens que Vasari donnait à ses histoires d’artistes illustres. Celle-ci nous est racontée à travers les yeux de la personne qui partage l’existence du peintre. Les années de vaches maigres, les succès précaires, les étés dans la montagne et les périodes de doute, le quotidien trivial et les épiphanies, ils ont tout traversé ensemble. Lui a la peinture, elle a les mots. Et toujours, la peinture garde une part de mystère qui échappe aux mots.
Récit d’une vocation artistique, P.m. Ziegler, peintre est surtout un grand roman d’amour. À double titre : parce qu’il raconte une histoire d’amour, et parce que l’écriture y est un geste d’amour. Celle de Noëlle Renaude, vive, précise, tente de cerner ce qui lui résiste : le vertige devant ce qu’il y a d’irréductible en l’autre, même le plus proche. La méditation sur l’acte de la création se fait ainsi hommage bouleversant à l’être aimé.
Extrait
Jeune, il a connu le fils d’un peintre célèbre suicidé dans la force de l’âge. Le fils avait fait sa chambre dans l’atelier du père, au fin fond du quatorzième. Le sol était une gigantesque palette, on aurait dit la lune, un recouvrement étrange, croûteux, souple et rêche aux pieds.
À dix-sept ans, ça l’a épaté ce droit qu’un peintre s’était donné de crotter à ce point, en toute sauvagerie et impunité, l’endroit où il travaille.
La peinture alors plus tard s’est échappée de partout, elle a coulé, elle a maculé, elle a collé, elle s’est étalée, elle a laissé des traces, des giclées et des croûtes. Sur la toile mais encore aux multiples endroits dont il a fait au cours de sa vie, en plus du sien, des ateliers provisoires.
Partout où il est passé, si on regarde bien, subsistent des points, des virgules, des pâtés, des traînées, des constellations, des coulées, des mouchetis, des traits qui disent qu’une toile a été travaillée là contre ce mur qui n’était pas destiné à lui servir de support. Ou que ces cuillers à soupe ou ce couteau à beurre ont servi de mélangeurs de fortune.
Régulièrement il nettoie son atelier, balaie, blanchit les cloisons, remise à zéro qui ne correspond pas à un changement de période, mais s’apparenterait plutôt à une manière de retour à la toile vierge. On recouvre pour mieux recommencer. Puis les murs ne tardent pas à s’orner de nouvelles éclaboussures.