Reconquista

Auteur : Serge Legrand-Vall
Editeur : Atelier In8
Parution : Février 2020
ISBN : 978-2-3622-4106-2
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19,90 €

Vos avis

Le terme de Reconquista fait généralement référence à la période immédiatement postérieure à 1492, date-clé de l’histoire de la péninsule ibérique qui borne les débuts de la reconquête des territoires conquis par les Musulmans et leur expulsion d’Espagne .Dans ce roman, Serge Legrand-Vall nous incite à porter nos regards vers une autre Reconquista, cette opération militaire menée en 1944 par des maquisards espagnols, issus des rangs du camp républicain , dans le Val D’Aran , région frontalière de la France .Mateu Canalis, l’un des membres de cette expédition , prend part aux combats mais la campagne tourne court :son bataillon est pris dans une embuscade, et il doit rebrousser chemin vers la frontière française .
Le roman s’articule principalement autour de la personnalité de Mateu Canalis, un policier soucieux de bien accomplir son métier, un homme de gauche mais « d’une gauche raisonnable », un fêtard alcoolique, en proie à la tentation permanente de la séduction .La technique narrative est de voir cet homme évoluer dans les années 36-37-38 à Barcelone , celles de la Guerre civile , des combats entre troupes franquistes et républicaines, celles de l’Utopie révolutionnaire ; et les années 44-45 , celles de la libération de la France et de la tentative de reconquête militaire de cette région du Val d’Aran , qui aurait dû être le prélude à une libération de la dictature fasciste de Franco.
Pourtant , en dépit de ses failles dans sa conduite personnelle, nous nous attachons à Mateu, et nous comprenons et partageons ses interrogations .Ainsi touche-t-il du doigt la différence existant entre la justice et l’ordre dans un constat désabusé : « J’ai passé plus de temps à courir après les anarchistes, dans leurs repaires du Raval on de Poble sec où ils noud filaient souvent entre les doigts, pour les coffrer à la prison Modelo, qu’à inquiéter les patrons .Une bonne façon de découvrir la différence entre ordre et justice. »
Cet homme , marqué par l’ambivalence, est aussi attiré par l’utopie , la réalisation d’idéaux révolutionnaires, même s’il est conscient du long délai nécessaire à leur atteinte et à leur réalisation .Il tombe amoureux d’Esperança , une femme éprise de ces idéaux , qui le convainc presque de partager ses idées .Mais au-delà de l’idéologie, c’est son exemplarité qui séduit Mateu et déclenche son amour pour cette femme .Pourtant , Mateu devient complice d’un événement peu commenté de la guerre d’Espagne : l’élimination systématique , sur ordre du NKVD de Staline , des opposants à sa ligne en Espagne , parmi lesquels les militants de la CNT et du POUM, syndicat anarchiste , et organisation politique d’extrême-gauche . C’est le début de la désillusion, des remises en cause de ses convictions : « L’époque de toute la gauche unie contre le fascisme était révolue ; tout comme celle où la presse anarchiste réclamait que le conflit idéologique entre les staliniens et leurs opposants reste mesuré. Les naïfs de mon espèce avaient réalisé avec beaucoup de retard qu’il s’agissait d’une lutte à mort. »
Peu de temps avant son départ de l’Ariège, Mateu est hébergé par Adrien et Jeanne, sa fille institutrice. Ces derniers lui laissent le souvenir d’une France républicaine, résistante, bien disposée à l’égard du réfugié espagnol auquel Mateu s’assimile. Une France bien plus accueillante que celle des années trente, qui avait laissé de biens mauvais souvenirs aux réfugiés espagnols parqués dans des camps d’internement.

Esperança décède sur une barricade dans Barcelone en proie au combat. Mateu finit par emmener Montse, une fille issue d’une liaison avec une autre femme d’extraction bourgeoise, Remei, vers les Antilles françaises, dans l’intention de rejoindre Cuba, où un membre de sa famille a servi durant la guerre d’Indépendance de l’ïle.
Serge Legrand-Vall réussit à nous restituer la dimension humaine de Mateu, ses doutes, ses erreurs, sa propension éthylique, son besoin final de cohérence, ses amours : Esperança, Remei, Jeanne. Il nous introduit, aussi, dans l’une des périodes les plus sombres et les plus controversées de la Guerre civile : cette liquidation des militants de l’extrême-gauche, et cet épisode moins connu de cette tentative d’intrusion militaire en 1944. Deux mérites essentiels de ce roman très réussi dans son atteinte à l’humanité de ses personnages.
STEPHANE BRET

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