Moïse fragile

Prix Goncourt de la Biographie 2015
Auteur : Jean-Christophe Attias
Editeur : Alma Editeur

Selon la tradition Moïse est censé avoir écrit les cinq premiers livres de la Bible. Il s'y dépeint de façon très étrange : avec et contre Dieu ; avec et contre son peuple ; porteur des tables de la Loi, qu'il brise ; prophète incapable de parler, guide vers une Terre promise où il n'obtient pas le droit d'entrer, mort dont nul ne connaît le tombeau. La tradition, jusqu'à nos jours, semble toute aussi déroutante, d'autant que Moïse est aussi revendiqué, réinventé, par le christianisme et l'islam. Sans compter Freud et la psychanalyse.
Puisant dans la tradition rabbinique et dans sa propre imagination autant que dans la Bible elle-même, Jean-Christophe Attias interroge les mots et les silences des textes. Il y distingue la silhouette d'un Moïse bien différent de celui, d'un seul bloc, qui encombre nos mémoires. Un Moïse fragile. Un homme de l'exil et de la dispersion.
A travers une série de portraits possibles - y compris celui d'un Moïse féminin - l'enquête de Jean-Christophe Attias étudie les métamorphoses, à travers les âges et les traditions, du libérateur des Hébreux : un judaïsme de l'esprit, de l'errance, de la diaspora et de l'inachèvement - voire de l'échec. Ou presque.
Recevoir et transmettre. Écouter, quand bien même le message serait confus. Questionner, avec insistance surtout quand il n'y a pas de réponse. Tel semble bien être le judaïsme de Moïse, « un judaïsme qui parle aux Juifs et pas seulement à eux, invitant à en finir avec l'orgueil de la tribu, la violence des armes et la tyrannie du lieu ».

22,00 €
Parution : Mars 2015
276 pages
ISBN : 978-2-3627-9141-3
Fiche consultée 50 fois

Extrait

Extrait de l'avant-propos

Voici, je vais me tenir devant toi là-bas, sur le Horeb ; tu frapperas dans le rocher et il en jaillira de l'eau, et le peuple boira. (Ex 17,8)

Un livre sur Moïse. L'idée n'est pas de moi. Elle m'a été soufflée. Jamais elle ne me serait venue spontanément à l'esprit. Et même une fois évoquée, elle ne s'est pas facilement imposée à moi. Cela dit, je n'ai pas non plus réussi à m'en défaire, à m'en libérer. On m'avait dit : «Moïse», et curieusement, Moïse était là.
On m'aurait dit : «Abraham», on m'aurait dit : «Un livre sur Abraham», les choses auraient été plus simples. Il n'en aurait pas été question un instant. Exit Abraham, et par la petite porte. Abraham est le premier d'une lignée : un père. Mais c'est aussi le plus effrayant des pères. Quand Dieu lui demande de lui immoler Isaac, son fils, il n'hésite pas une seconde à brandir le couteau du sacrifice. Et Dieu le lui tient pour mérite. Un comble. Abraham, père indigne.
Je n'ai de toute façon guère de penchant pour ces histoires de lignées, de généalogies. Nous croyons naïvement qu'elles peuvent trancher une fois pour toutes les petites et les grandes questions identitaires qui nous agitent. Mais c'est tout le contraire. Adam, père de tous les humains, a d'abord été celui de Caïn et Abel. On sait comment la famille a tourné. Abraham a été père d'Isaac, ancêtre présumé des Hébreux et des Juifs, mais aussi d'Ismaël, ancêtre présumé des Arabes et des musulmans. Ici encore, deux frères ennemis. Cela ne s'arrêtera pas là. Isaac aura deux fils : Jacob, qui poursuivra la lignée «légitime», et Ésaü, ancêtre présumé de Rome et de la Chrétienté. Deux frères ennemis de plus. Jacob lui-même donnera naissance à une fratrie capable de prendre en haine l'un de ses membres, Joseph, au point de projeter un moment de le tuer, puis de le vendre à des marchands en route pour l'Égypte. On dirait que c'est à peu près tout ce que nos pères sont capables d'engendrer : des frères ennemis.
Vous me direz peut-être, parce que vous en avez des images plein la tête : «Mais Moïse est tout de même bien une figure paternelle !» Oui, une figure paternelle, justement, pas un père. Moïse a eu deux fils, on connaît leurs noms, Guershom et Éliézer, et c'est à peu près tout. Ils n'ont pas fait de grandes carrières, et n'ont à leur actif aucune prestigieuse descendance. À cet égard, Aaron, le frère de Moïse, a nettement mieux réussi : il est le fondateur d'une illustre lignée de prêtres. Et un peu plus tard, David, le roi David, ne s'en tirera pas mal : premier maillon d'une belle dynastie dont le Messie serait issu. Rien de semblable avec Moïse.
Même comme «figure paternelle», et plus encore si vous voulez dire par là «figure de père fouettard», Moïse n'est pas vraiment à la hauteur. Pire - ou mieux, à votre gré - il fut aussi, vous le verrez bientôt dans ces pages, une figure «maternelle». Il y a autant de douceur que de poigne en Moïse. Ne vous fiez pas à ses colères, à sa violence, aux cruels châtiments qu'il est capable d'infliger aux pécheurs. Sa grande force est aussi, et souvent, d'être capable de refuser la force. Puissance du renoncement et de l'abdication...

Autres éditions

Moïse fragile
Poche (Septembre 2016)
Informations sur le livre