Simples déductions

Une Aventure de Jack Reacher
Auteur : Lee Child
Editeur : Calmann-Lévy

En un roman court, Simples déductions, et onze nouvelles, Lee Child nous dit bien des choses savoureuses sur son célèbre héros, Jack Reacher. On y apprend ainsi dans Le Deuxième fi ls que c'est sur la base d'Okinawa que, âgé de treize ans, il s'aperçoit un jour qu'en plus d'avoir un cerveau reptilien très développé, il est capable de rosser quiconque voudrait, et oserait, le défier. De là à voir plus de choses dans n'importe quel acte de violence que le commun des mortels, il n'y a qu'un pas qu'il franchira vite pour devenir l'invincible chevalier blanc que l'on connaît.
Au fil de Soyez étrange et muet, Tout le monde parle, ou encore Plus de place à l'auberge, et à coups de subtils raisonnements et de mémorables bastons, il résout tous les crimes sur lesquels il tombe et ce faisant... fait chavirer le coeur de ces dames.

20,90 €
Parution : Septembre 2020
432 pages
ISBN : 978-2-7021-6420-4
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Extrait

Soixante secondes font une minute, soixante minutes, une heure, vingt-quatre heures, une journée, sept jours, une semaine, cinquante-deux semaines, une année. Reacher fit le calcul et obtint à la louche un total de trente millions de secondes par période de douze mois. Durant lesquelles presque dix millions d’actes criminels graves seraient commis rien qu’aux États-Unis. En gros, un toutes les trois secondes. Plutôt fréquents. Et en voir un perpétré devant soi, sous ses yeux, n’était pas complètement improbable. La localisation avait son importance, bien entendu. Le crime va où vont les gens. Il y a plus de chances qu’il se produise dans un centre-ville qu’au milieu d’un pré.
Reacher se trouvait dans un trou perdu du Maine. Ni près d’un lac ni sur la côte. Rien à voir avec les homards de la région. Mais l’endroit avait dû présenter un certain intérêt autrefois. C’était évident. En témoignaient les rues larges et les immeubles en brique. Il y flottait un parfum de prospérité révolue. D’anciennes boutiques chics, sans doute, étaient devenues des « tout à un dollar ». Mais la tristesse et la désolation n’étaient pas totales. Au moins ces magasins travaillaient-ils un peu. Il y avait un café franchisé. On avait installé des chaises dehors. Les rues grouillaient presque de monde. La météo aidait. C’était le premier jour du printemps et le soleil brillait.
Reacher tourna dans une rue si large qu’on l’avait interdite à la circulation et rebaptisée « place ». Des deux côtés, des tables avaient été sorties devant des immeubles aux façades rouge fané, et une trentaine de personnes traînaient paresseusement sur les trottoirs. Reacher commença par voir la scène de front, avec des gens devant lui, éparpillés au hasard. Il comprit plus tard que les plus importants d’entre eux formaient une figure parfaite, comme un T majuscule. Il se trouvait à sa base et, quarante mètres plus loin, sur la barre du T, une jeune femme marchait de sa droite vers sa gauche, d’un trottoir à l’autre de la large rue. Elle portait un tote bag en toile à l’épaule. Visiblement pas trop lourd, de couleur standard, pâle sur sa peau mate. Elle devait avoir vingt ans. Peut-être moins. Peut-être juste dix-huit. Elle marchait lentement, les yeux vers le ciel, savourant les rayons du soleil sur son visage.
Et là, à l’extrémité gauche de la barre du T, se déplaçant nettement plus vite, surgit un petit jeune, qui fonçait droit vers elle. Environ le même âge. Baskets aux pieds, pantalon noir moulant, sweat-shirt noir à capuche. Il empoigna le sac et le lui arracha. Elle s’étala par terre, la bouche ouverte en une sorte d’exclamation étouffée. Le jeune à capuche cala le sac sous son bras comme un ballon de football, fit un crochet sur sa droite, puis descendit le long du T en courant, droit vers Reacher à sa base.
De l’extrémité droite de la barre du T apparurent alors deux hommes en costume, progressant comme la jeune femme d’un trottoir à l’autre. Ils se trouvaient environ vingt mètres derrière d’elle. Le délit venait d’être commis sous leurs yeux. Ils firent ce qu’auraient fait la plupart des gens. Ils se figèrent un quart de seconde, se retournèrent, regardèrent le jeune s’enfuir, puis levèrent les bras au ciel en un geste énergique mais incohérent, et crièrent quelque chose, un « Hé ! » peut-être.
Puis ils se lancèrent à sa poursuite. Comme si un coup de pistolet avait été tiré pour donner le départ. Ils sprintèrent, genoux bien haut, pans de la veste qui claquent. Des flics, se dit Reacher. Forcément. À cause de l’unisson tacite. Ils n’avaient même pas échangé un regard. Qui d’autre aurait réagi de cette manière ?
À quarante mètres de là, la jeune femme se releva précipitamment, puis s’éloigna en courant.
Les flics progressaient. Mais le jeune en sweat-shirt noir les devançait de dix mètres et courait beaucoup plus vite. Ils n’allaient pas le rattraper. Impossible. Les probabilités étaient nulles.
Le jeune se trouvait à présent à vingt mètres de Reacher, fondant sur sa gauche, fondant sur sa droite, filant dans l’espace libre. À trois secondes de lui. Une brèche droit devant. Un chemin dégagé. Plus qu’à deux secondes. Reacher fit un pas sur la droite. Plus qu’une seconde. Un autre pas. Il déséquilibra le gamin d’un coup de hanche et l’expédia à terre dans un enchevêtrement de bras et de jambes. Le sac en toile s’envola et le gamin roula en raclant le sol sur trois mètres, puis les hommes en costume les rejoignirent et l’immobilisèrent. Un petit rassemblement se forma. Le sac en toile était tombé à environ un mètre des pieds de Reacher. Il était muni d’une fermeture Éclair sur le dessus, tirée jusqu’au bout. Reacher se pencha pour le ramasser, mais se ravisa. Mieux valait laisser la preuve en l’état. Il recula d’un pas. D’autres curieux se rassemblèrent à côté de lui.
Les flics relevèrent le gamin hébété et le menottèrent dans le dos. Après quoi, l’un monta la garde pendant que l’autre enjambait le voleur pour ramasser le sac. Plat, visiblement léger et vide. Un peu dégonflé. Comme s’il n’y avait rien dedans. Le flic balaya du regard les visages autour de lui et s’arrêta sur celui de Reacher. Puis il sortit de sa poche revolver un portefeuille et l’ouvrit d’un geste exercé. Pièce d’identité dans un étui en plastique laiteux. Inspecteur Ramsey Aaron, service de police du comté. Sur la photo, le type, un peu plus jeune, et bien moins essoufflé.
— Je vous remercie de nous avoir aidés sur ce coup-là. Vraiment, dit-il à Reacher.
— Pas de quoi, répondit Reacher.
— Vous avez vu ce qui s’est passé exactement ?
— Pratiquement.
— Alors, il faudra nous faire une déposition signée.
— Vous avez vu la victime partir en courant ?
— Non, je n’ai pas vu ça.
— Elle avait l’air d’aller bien.
— Bon à savoir, dit Aaron. Mais il faudra quand même que vous nous signiez une déposition.
— Vous avez vu la scène de plus près que moi, dit Reacher. Elle s’est produite sous vos yeux. Rédigez votre propre déposition et signez-la.
— Pour être franc, monsieur, cela aurait plus de valeur venant d’un individu ordinaire. Un témoin de l’incident, je veux dire. Le jury n’apprécie pas toujours les témoignages de la police. C’est un signe des temps.
— J’ai été flic autrefois.
— Où ça ?
— Dans l’armée.
— Alors, vous valez encore mieux qu’un individu ordinaire.
— Je ne peux pas rester dans le coin jusqu’au procès. Je ne fais que passer. Je dois repartir.
— Il n’y aura pas de procès. Si nous avons un témoin oculaire, qui se trouve être un vétéran de l’armée, avec de l’expérience dans la police, l’accusé plaidera coupable. C’est de l’arithmétique, tout bêtement. Des plus et des moins. Une sorte de note de solvabilité. C’est comme ça que ça marche.
Reacher garda le silence.
— Ça vous prendra dix minutes, reprit Aaron. Vous avez vu ce que vous avez vu. Que pourrait-il arriver, au pire ?
Reacher accepta.

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Poche (Septembre 2021)
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