La peur derrière la porte Tome 2
Editeur : Numero un
Pierre Bellemare a marqué l’histoire du fait divers, avec des récits authentiques et stupéfiants qui n’ont cessé de faire frissonner l’auditeur ou le lecteur.
À la lecture de ce second tome de La peur derrière la porte, la voix inoubliable de Pierre Bellemare remonte en nos mémoires et agit avec cette même efficacité que l’on a connue durant des décennies. Et nous tremblons, aujourd’hui comme hier, n’osant plus regarder derrière notre porte d’où nous parviennent ces histoires les plus inattendues, les plus inimaginables, toutes absolument véridiques, tirées des archives criminelles françaises et internationales.
Autant d’histoires extraordinaires survenues chez des gens ordinaires qui pourraient être cachés parmi nos proches les plus proches.
La peur derrière la porte, des récits impérissables
Extrait
Le petit homme silencieux
Une cuisine impeccablement propre. Des casseroles alignées, des meubles au vernis reluisant. Un buffet ciré, un coucou qui met le nez dehors toutes les heures, inlassablement, dans le silence. Un bouquet de fleurs sur la table donne une note de gaieté incongrue dans ce désert de netteté. Le bouquet de fleurs est rouge, aussi rouge que le sang sur le carrelage rutilant.
La mort est un désordre affreux.
Ici vivait, jusqu’à présent, Mrs. veuve Brewster, femme aussi irréprochable que sa cuisine. Aujourd’hui, elle est étendue sur le carrelage. Deux balles de fusil en pleine face. Elle n’a plus de visage.
L’inspecteur Coogan, des affaires criminelles de la police d’Édimbourg, contemple le spectacle, une légère grimace sous la moustache rousse. L’odeur du sang, particulière, fade, écœurante, le prend à la gorge, mêlée au parfum d’encaustique.
D’un pas lent, il fait le tour de la maison. Par la fenêtre, on aperçoit le jardin, net et sans mauvaises herbes. La chambre de la veuve Brewster est un modèle du goût anglais des années trente. Coussins de dentelle sur le lit en faux acajou, poupée de porcelaine trônant sur le couvre-lit de satin mauve, festonné sur les bords. Au mur, la photographie de l’époux défunt, en uniforme de la Grande Guerre. Le cadre est orné d’un ruban noir. Sur la commode, au-dessous, le portrait du fils, Samuel Brewster, vingt-deux ans, cheveux blonds, visage ovale et pâle, traits flous, inconsistants.
L’inspecteur Coogan retourne à la cuisine et s’adresse au policier qui garde la porte.
— Où est le fils ?
— D’après les voisins, il fréquente un club sportif. On est allé le chercher. Il paraît qu’il s’entraîne là-bas trois fois par semaine. Il part tôt le matin.
— Un athlète professionnel ?
— Non, inspecteur. Il fait des études de musique et fréquente le conservatoire. Paraît qu’il veut devenir compositeur.
Un musicien qui fait de l’athlétisme ? Bizarre, « peu courant », se dit l’inspecteur qui retourne examiner les trouvailles de l’équipe de la Criminelle. Une douille découverte sous le placard de la cuisine, une cartouche encore intacte, jetée par l’assassin dans les toilettes. L’arme n’a pas été retrouvée mais, pour un spécialiste, l’identification est facile ; et l’inspecteur Coogan est un spécialiste.
— Fusil de guerre Enfield, calibre 303. Il devait appartenir au mari.
Le médecin légiste, penché sur le cadavre qu’il manipule avec délicatesse, se redresse en hochant la tête.
— Un véritable massacre à bout portant.
— À quelle heure remonte la mort ?
— Plusieurs heures. Très tôt ce matin. La rigidité est déjà installée. Je vous en dirai davantage après l’autopsie.
— Il n’y a pas trace de petit déjeuner dans cette cuisine. Tout est rangé. Je me demande à quelle heure elle le prenait, d’habitude. Il faudrait le savoir. Savoir aussi si le fils était là, ce matin. La chambre du fils est en ordre, comme tout le reste. Le lit est fait, il n’a peut-être pas couché là. Ou alors, elle a fait le ménage avant l’aube.
— Possible. Difficile à dire, avec une telle maniaque de la propreté. J’ai rarement vu une maison aussi nette. Vous avez vu les torchons ? Immaculés. À ce point-là, c’est de l’obsession.
Le médecin a terminé ; pour lui, on peut transporter le cadavre à la morgue. Mais l’inspecteur Coogan arrête les brancardiers :
— Laissez. Je veux voir la tête du fils devant ce massacre. Un type qui disparaît pendant qu’on tue sa mère… Un type qui a une tête de fils-fils à sa maman. L’air d’une fille, pour tout dire, et qui passe son temps dans un club sportif… un type dont le père a fait la guerre, dont la mère est assassinée avec un fusil de guerre… Vous voyez ce que je veux dire ? Le genre mou élevé dans la rigueur militaire et la rigidité maternelle… En attendant, amenez-moi la voisine qui a prévenu la police. Je voudrais savoir le maximum de choses sur ce garçon.
L’inspecteur Coogan a une sorte d’intuition, après avoir examiné la photographie de Samuel Brewster fils. Les policiers ont parfois ce genre de sentiment fait d’une accumulation de détails. Cette maison trop parfaitement rangée, trop parfaitement propre, révèle une femme non seulement maniaque, mais probablement possessive. Ce fils aux traits mous, au menton fuyant, devait subir l’autorité de sa mère. L’absence du père est souvent néfaste en pareil cas. Des balles de fusil militaire… probablement un crime en cercle fermé. Absence de traces d’effraction, pas de vol, juste une porte qui n’était pas fermée à clé, et une voisine qui s’inquiète à midi de n’avoir pas vu, comme d’habitude, la veuve Brewster balayer devant sa porte, et étendre son linge à 3 heures pétantes.
Voici la voisine, un peu échevelée par les circonstances, terrorisée par la présence du cadavre, même recouvert d’un drap.
— C’est que, vous comprenez, monsieur l’inspecteur, je n’ai pas l’habitude de me mêler de la vie des gens, mais cette pauvre dame était réglée comme une horloge.
— Parlez-moi du fils, Samuel.
— Un garçon très bien élevé, mais plutôt timide et pas causant.
— Il travaille ?
— Pas encore. Il fait des études de musique et de l’entraînement sportif. Sa mère me disait que c’était pour compenser les heures qu’il passait assis au piano, mais moi je crois que c’était pour avoir des muscles… Vous comprenez ce que je veux dire ?
L’inspecteur ne comprend pas, ou fait semblant, et le manifeste d’un sourcil interrogateur.
La voisine est gênée. Il y a des mots que l’on prononce difficilement.
— Enfant, il n’était pas très costaud et, avec les filles… enfin il est timide, une question de… tempérament, vous voyez ? Alors, il fait des haltères et de la musculation. Il est très fier de son allure, je le vois bien quand il passe devant chez nous. Il carre les épaules, se redresse comme un jeune coq… surtout quand il rend visite à cette jeune Molly.
— Une fiancée ?
— Pas encore. Je crois que Mrs. Brewster n’était pas d’accord. Elle n’aimait pas cette Molly. L’autre jour, je crois bien qu’elle l’a mise à la porte…
— Vous croyez ou vous êtes sûre ?
— Je l’ai vue sortir en pleurant, et le jeune Samuel lui courait derrière… Enfin, tout cela n’a plus d’importance à présent.
— Vous étiez liée avec la victime ?
— Non. On ne peut pas dire que Mrs. Brewster était une femme liante, inspecteur. Seulement, à force d’être voisins, on remarque de petites choses.
— Dans le genre petite chose, à quelle heure est parti le fils, ce matin ?
— À 7 heures sûrement, comme d’habitude. Et le mercredi, il ne rentre pas déjeuner. Comme on est mercredi, je ne me suis pas inquiétée avant cet après-midi. J’ai pensé que Mrs. Brewster était fatiguée. Mais, quand j’ai vu que son linge n’était pas étendu – elle lave tous les jours vous savez –, je me suis dit qu’elle devait être malade. Je suis venue, la porte n’était pas fermée à clé, et j’ai vu ça…
— Savez-vous s’il y avait une arme ici ?
— Non.
— Avez-vous entendu du bruit dans la nuit, ou tôt ce matin, quelque chose qui ressemblerait à des coups de feu ?
— Rien du tout, inspecteur, mais je dois vous dire que je dors avec des boules dans les oreilles, et ma chambre est de l’autre côté du jardin…
— Que pensez-vous très franchement de Samuel Brewster ?
— Très franchement, pour moi, il a quelque chose de dérangé. Ce n’est pas normal un garçon de son âge qui n’a pas d’amis, qui ne va pas dans les bals, ni aux matches et jamais au pub. Ce n’est pas sain, vous voyez ? Les garçons de cet âge font les fous d’habitude. Et puis il y a ses yeux… Je le disais encore à une amie l’autre jour, il a des yeux qui font froid dans le dos.