Un futur presque parfait
Perfides règlements de compte dans la campagne tourangelle.
Présentation de l'éditeur
Ce ne sont pas les promesses d’un futur presque parfait qui manquent dans la charmante bourgade de Mouy-sur-Loire en Touraine alors qu’approchent les élections municipales, et Claudine Imbert, la maire sortante, doit faire feu de tout bois pour défendre son bilan face à de coriaces rivaux.
Une concitoyenne garde la tête froide au milieu de l’effervescence : Violette Laguille, vieille dame très discrète dont nul ne soupçonne qu’elle conserve dans son coffre-fort une fortune en bijoux.
Un étrange concours de circonstances conduit Violette à sortir ses joyaux de leur cachette au moment même où la campagne électorale tourne au vinaigre : l’un des candidats est assassiné !
Y aurait-il un lien ?
Alors que le mort tarde à dévoiler ses secrets, la propre vie de Violette est menacée. Parviendra-t-elle à démasquer le coupable à temps ?
Extrait
Mardi 6 septembre
Une marchandise qui plaît est à moitié vendue
La fin de l’été était étouffante et tout le village de Mouy-sur-Loire attendait l’automne avec impatience. Un soleil écrasant ravageait les étangs, les champs avaient été moissonnés en catastrophe, le bois des Hâtes avait jauni dès la fin août, la fleuriste ne sortait plus ses pots et la coiffeuse avait rangé son sèche-cheveux, devenu inutile. Les habitants, les chèvres, les chardonnerets, les chats et les abeilles se terraient de l’aube au crépuscule. Dans la petite église au clocher tors, la température dépassait les vingt-huit degrés. L’abbé Marcel, le curé, ne se donnait même plus la peine de remplir le bénitier dont l’eau s’évaporait dans la journée. Les saints de plâtre, en revanche, n’avaient jamais reçu autant de visites : la moitié des vieillards de la commune venaient lire ou discuter chaque après-midi sous la fraîcheur relative des voûtes de pierre blanche.
Pascal Durangue sortait de la douche, la deuxième de la journée. Debout dans la salle de bains, il se chauffait la voix en s’habillant.
— Mes chers concitoyens…
Il se racla la gorge, reprit :
— Mes chers concitoyens, Mesdames, Messieurs, c’est avec beaucoup d’émotion que je vous remercie ce soir pour votre confiance.
Le premier adjoint sourit à son reflet dans le miroir. La phrase sonnait bien et elle sonnerait encore mieux dans la mairie de Mouy-sur-Loire. Il avait hâte. Bien sûr, la ville n’était pas Tours ou Poitiers, elle comptait seulement 1 502 habitants, mais en devenir maire était un escabeau pour le Conseil départemental. La commune recensait encore 1 504 âmes en avril dernier. L’installation d’une Nantaise avait fait monter la population à 1505, son assassinat et celui de l’ancienne coiffeuse l’avaient fait redescendre à 1503, un chiffre auquel s’ajoutait la perte de la vieille Clémence, décédée, elle, de mort naturelle. Depuis, le meurtrier avait été arrêté, le calme était revenu dans le village, les Mouytois avaient disparu de la rubrique des faits divers et la fête de la Saint-Roch, le 16 août, avait rassemblé tout le monde dans une salvatrice insouciance. 1 502 habitants, donc, réunis autour de deux cafés, un bureau de poste aux horaires aléatoires, une magnifique abbaye romane transformée en hôtel de ville, une coopérative laitière, une église et deux marchés réputés – celui du samedi rayonnant à plus de vingt kilomètres.
1 502 habitants dont Pascal Durangue serait d’ici à quelques mois le maire, il en était persuadé. Il avait toutes les cartes en main pour être élu : chef d’entreprise expérimenté, son rôle de premier adjoint démontrait sa connaissance de la chose politique et sa position de directeur de la coopérative laitière de Mouy, celle du monde agricole. Enfin, en créant un hôtel de luxe au milieu des champs, il avait prouvé son audace. Le petit manoir hérité de ses parents, transformé en relais-château, affichait trois étoiles – et cinq sur les sites touristiques. Il avait mis le paquet, avec une décoration pensée, une piscine, un sauna et un bar à cocktails. Il avait même embauché une attachée de presse parisienne pour en faire la promotion. Il atteignait cinquante-cinq ans. Il était temps de passer à la vitesse supérieure. S’installer sur l’échiquier politique. Il ne comptait pas rester un mandat de plus dans le sillage de la mairesse : cette dinde ne vivait que pour ses fêtes patronales et des trottoirs fleuris. Elle avait ramené à l’équilibre le budget de la commune ? La belle affaire ! Il n’y a que les pauvres pour croire qu’on s’enrichit en payant ses dettes. Les visionnaires, les véritables hommes d’affaires, eux, investissent sans compter leurs sous.
Le premier adjoint examina son nœud de cravate. Trop lâche. Heureusement, sa femme était douée pour ces choses-là.
— Coralie ! cria-t-il par-dessus son épaule.
Pascal Durangue était attaché à une certaine élégance ; pourtant, en cet après-midi de septembre, il se serait volontiers épargné le port de cette satanée bande de tissu. Mais il avait rendez-vous à la banque. Canicule ou pas, il tenait à donner la meilleure image possible. Si les gestionnaires des grandes villes admettaient que l’on se promenât cou nu, les banquiers des champs se montraient plus guindés. Veste, cravate, chaussures cirées, il fallait présenter patte blanche, sauf à passer pour un bouseux. Quitte à transpirer comme un bœuf.
Il devait absolument obtenir ce prêt. Il avait choisi une cravate à rayures rouges et blanches, assortie à son blazer marine. Un ensemble sobre et respectable. En se voyant dans le miroir, il se trouva un air de lord anglais. Il passa une main soignée dans sa chevelure bouffante et serra les mâchoires. Allez, mon garçon, tu vas les mettre dans ta poche.
— Coralie ! rugit-il.