L'ange bleu

Auteur : Zoé Valdés
Editeur : Hermann

Ce livre de Zoé Valdés est un hommage à Marlene Dietrich et au célèbre film de Josef Von Sternberg, L’Ange bleu : le film par lequel l’actrice allemande est devenue l’incarnation de la femme fatale et l’icône érotique du cinéma des années trente. Avec L’Ange bleu de Zoé Valdés le lecteur est transporté dans le monde du glamour en noir et blanc. Plus qu’une simple évocation du film, ce livre est le regard inspiré d’une narratrice spectatrice qui, par les charmes d’une écriture mêlant humour et poésie, nous fait traverser la frontière entre l’art et la vie. Laissant émerger les souvenirs de son enfance dans les quartiers pauvres de La Havane, la narratrice nous raconte comment Marlene Dietrich transformée en Lola Lola, la petite danseuse du cabaret L’Ange bleu, a fait irruption à plusieurs reprises dans sa vie d’enfant, puis de femme, jusqu’à hanter complètement son imaginaire.
De Cuba à Paris en passant par Berlin, de la vie à l’écran, de l’écran à la plume, les aventures personnelles de la romancière font renaître sous nos yeux, tour à tour, l’artiste, la séductrice, l’amante, la militante que fut Marlene Dietrich. À travers le portrait à la fois réel et fantasmé de cette déesse incomprise, divisée entre désir et amour, Zoé Valdés nous propose un trajet autobiographique où les images de son passé se confondent avec celles de L’Ange bleu.

9,90 €
Parution : Août 2012
Format: Poche
90 pages
ISBN : 978-2-7056-8359-7
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Extrait

Au mois de mai 1995 a eu lieu, à Berlin, ma rencontre avec deux anges. Le premier s'appelle Maria Elena Cruz Varela, dont j'avais découvert le livre de poèmes El Ángel agotado [L'Ange épuisé] et dont je fis alors la connaissance. La seconde rencontre fut celle de mon ange majeur, l'ange «terrible», comme l'écrivit Rainer Maria Rilke, l'ange bleu, Marlene Dietrich. Ou plutôt de ses souvenirs.

Enfant, j'avais vu un ou deux films de Marlene Dietrich, lors d'une émission sur la 2e chaîne de la télévision cubaine, qui passait d'abord à midi, puis à cinq heures de l'après-midi, avant de disparaître au bout de quelques années. Cette émission s'intitulait Ciné del hogar [Au cinéma chez vous] et l'on pouvait y voir presque tous les vieux films en noir et blanc - toujours en noir et blanc - du cinéma américain, et je dis toujours parce que, même s'ils étaient en couleur, comme il s'agissait de copies volées à l'industrie dans le but de contourner le boycott commercial yankee, on ne pouvait les voir qu'en noir et blanc. Ces deux films furent L Ange bleu (Der Blaue Engel, 1930) de Josef von Sternberg et Coeurs brûlés (Morocco, 1930), du même metteur en scène, avec Gary Cooper.

Grâce au Cinéma chez vous er à l'émission Histoire du cinéma ensuite, j'ai connu les grands des années trente, quarante et cinquante. J'ai vu, en outre, du très bon cinéma mexicain et argentin de ces décennies ; mais, pour être sincère, j'ai vu aussi pas mal de navets. Et aussitôt les visages de la cinématographie latino-américaine de ces années-là, ses acteurs principaux, me sont devenus peu à peu familiers : Carlos Gardel, Hugo del Carril, Libertad Lamarque, Silvia Pinal, Mirtha Legrand et Maria Félix, qui était la «jolie môme» par excellence et la Grande Dame du cinéma latino-américain. A vrai dire, moi, je ne trouvais rien de particulier à Maria Félix, quoique je ne sois pas assez experte pour juger de la beauté féminine d'alors. Je sais qu'elle fut une actrice du tonnerre, un top de ces années-là.

Dans cette même émission on passait aussi des petits films «alimentaires», bien que géniaux, de Luis Buñuel... Mais en ce temps-là je n'étais qu'une gamine, une enfant qui n'avait même pas idée de qui était tel ou tel acteur ou actrice ; et n'avais même pas de téléviseur. Le cinéma cubain de cette époque souffrait du fléau de la censure castriste, de sorte que personne ne connaissait Ninon Sevilla, par exemple, parmi d'autres grandes figures du cinéma cubain d'avant la Robolution - pardon, la Révolution.

J'accompagnais ma grand-mère chez ses vieilles amies regarder des films d'autrefois ; d'après elles, ces films-là en valaient la peine. Ma grand-mère pleurait, me montrait un gros plan de Marlene et me disait : «La meilleure, la meilleure; personne comme elle». Et je pleurnichais seulement de voir pleurer ma grand-mère, parce que, pour comble, sans même savoir quelle en était la cause, ces grands yeux de Marlene me donnaient une terrible envie de beugler lamentablement. Ce regard en gros plan, en noir et blanc, me soulevait de tristesse ; sans savoir pourquoi il provoquait chez moi une inexplicable souffrance - je parlerais aujourd'hui de kitsch - ou une mélancolie, mot plus approprié s'agissant de Marlene, qui me durait des jours, voire des semaines.

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