Article 36
13 janvier 2020 à l'aube. Les chars Leclerc pénètrent dans Paris. A Marseille, des unités d'infanterie et des blindés légers quadrillent les quartiers nord en liaison avec la police et la gendarmerie. Sur toutes les ondes et l'intégralité des réseaux sociaux, le président de la République décrète la mise en oeuvre de l'article 36 de la Constitution : l'état de siège est proclamé sur tout le territoire.
Les militaires prennent le contrôle du pays. Tout ce qui relève de la sécurité nationale relève désormais des généraux, qui ont la haute main sur les forces de l'ordre et mettent en place des tribunaux militaires. Le cours normal de la vie publique est aussitôt suspendu. Médias, syndicats, mondes enseignant et étudiant, corps intermédiaires civils et politiques, etc. , sont comme gelés. L'article 36, un dispositif oublié, hérité des régimes troublés du XIXe siècle, qui n'a jamais été mis en oeuvre depuis la deuxième guerre mondiale...
Mais que tous les pouvoirs successifs ont tenu à garder dans notre Constitution en songeant qu'ils pourraient peut-être en avoir besoin un jour. Si le Président s'y est résolu, faisant appel au général Maxime Gerfaut qui vient de s'illustrer par une action humanitaire d'éclat en Syrie, c'est que le pays, frappé par une nouvelle vague d'attentats monstrueux, est en proie à de graves émeutes en banlieue et à des tentatives de sédition de groupes extrémistes.
Mais après un bref rétablissement de l'ordre républicain, la situation va vite échapper à tout contrôle politique. Le général Gerfaut veut aller plus loin...
Le pays se coupe en deux, une partie de la population applaudit l'autre se révolte.
Vos avis
Le genre du polar est bien établi dans la littérature française, celui de la fiction politique nous est moins familier, même si certains auteurs s’y sont consacrés avec un certain succès, tels Marc Dugain. Henri Vernet, journaliste politique, a tenté une synthèse des deux genres dans Article 36.
Le roman commence par la proclamation de l’état de siège en ce début de janvier 2020. La France est submergée par une vague d’attentats terroristes, et elle ne parvient toujours pas à résoudre les problèmes de fond qui se posent au pays depuis plusieurs décennies : insécurité, chômage, banlieues en déshérence. Le président de la République, Cardignac, fait appel à un général, Gerfaut, pour la mise en œuvre de cette Mesure. Ce général aurait contribué à sauver des Yézidis durant le conflit en Irak et en Syrie. Il peut faire penser au général de Villiers, entré en conflit au début du quinquennat avec le président Macron , à propos du budget des armées .
D’autres personnages peuvent nous rappeler des figures médiatisées ou plus cachées : Delphine Salgado, conseillère à la Communication du Président, Tancrède, compagnon de la précédente, avocat. Charles Brissaud est Premier ministre, en proie à « l’enfer de Matignon. Alice Valbergues, très influente auprès du Président Cardignac est la femme de l’ombre, l’éminence grise. Il y a beaucoup de qualités dans le roman d’Henri Vernet : une restitution minutieuse, très fouillée du fonctionnement des institutions policières, sécuritaires et militaires de la France. On se croirait parfois dans un épisode du Bureau des légendes, série culte.
La dimension des personnages peut nous séduire, également. Henri Vernet les dépeint avec humanité, en nuances, en soulignant aussi leurs illusions, surtout celles de Delphine Salgado, qui finira par rompre avec le Président Cardignac. On est saisi par d’angoissantes interrogations qui ne manquent pas de sourdre à la lecture de ce roman : est-ce vraiment une pure fiction ? Ne sommes-nous pas menacés par des tentations antidémocratiques ? Sans doute, mais c’est le signe que le récit a atteint son objectif : faire toucher du doigt un certain état du pays, peindre avec force détails le fonctionnement des institutions, et exposer une intrigue qui nous tient en haleine jusqu’au bout de ce roman. A recommander.
STEPHANE BRET