Le romanesque des lettres
Le romanesque des lettres est le tête-à-tête de la littérature et du réel - un réel qui est lui-même pénétré de littérature. À travers cette frontière poreuse se rencontrent une expérience littéraire et une idée de la vie. OEuvres, interprétations, événements de la vie des lettres, tout peut être lu comme un roman, en nous souciant de l'intérêt qui nous attache et du plaisir qui nous rétribue ; à la faveur des circonstances, tout peut être vécu comme un roman. La littérature, loin de se fermer sur son autonomie, apparaît ici comme une maison ouverte à son dehors.
La porte battante au centre du livre est un chapitre sur le roman à clés. Les fenêtres donnent sur le rapport entre création et critique, lecteurs et bibliothèques, amitié et historiographie, vie privée et vivre public. Au fil des pages s'anime le paysage d'un long romantisme, allant de Sainte-Beuve à Sartre, sous l'horizon de ce que Proust appelle un romanesque vrai.
La presse en parle
Sainte-Beuve, pour qui La Princesse de Clèves était l’histoire transposée de la liaison de Mme de La Fayette avec le duc de La Rochefoucauld, trouvait dans cette clé un surcroît de romanesque. Lecture réductrice à nos yeux de modernes. Ne lisons-nous pas, néanmoins, A la recherche du temps perdu comme si le narrateur n’était autre que Proust ? C’est la notion même de romanesque qu’il s’agit de repenser, ainsi que Michel Murat y invite en formulant l’hypothèse que, depuis l’époque romantique, tout ce qui se rapporte à la littérature peut se lire comme un roman. Autrement dit, que le romanesque excède de très loin le genre littéraire dont il procède.
On peut en voir un modèle dans la circulation savamment orchestrée par Sartre et par Beauvoir entre leur vie et leur œuvre : conversations, correspondances, romans ou essais biographiques, tout fonctionnait, pour eux et pour leurs proches, comme un tourniquet qui tenait non de l’autofiction mais du désir de « se faire une vie écrite ». Quitte à brouiller les genres littéraires, effet collatéral de ce plaisir que nous prenons à envisager notre vie comme un roman. Un plaisir qui est, pour Michel Murat, la source inépuisable d’une pensée romanesque de la création.
Jean-Louis Jeannelle, Le Monde