Des feux fragiles dans la nuit qui vient
Il y a une Ile et le Continent. L'une en état de siège, l'autre en plein boom économique. Une guerre qui s'éternise au large dans l'indifférence générale. Les troupiers abandonnés d'une démocratie en partance, laissés seuls face aux partisans convaincus du Rien. Dans les Hautes-Terres évacuées, des villes entières disparaissent sans que l'État central fasse mine de réagir.
Mais pourquoi donc personne n'ose-t-il s'aventurer au-delà des forêts du nord ? Sur l'avenir de l'Ile plane une menace aux accents étrangement prophétiques. Un sentiment de déjà-vu pousse alors l'adjudant Berthier à relire une très ancienne légende nordique, La Relève de Saint Olaf... Dans cette atmosphère de fin d'époque, le lieutenant Frédérique Jeunehomme apporte un peu de douceur, et Berthier le désabusé se laisserait presque séduire. Mais le temps n'est pas au marivaudage.
Des événements tragiques frappent l'Ile et rendent la confrontation inévitable. Quelle guerre mener quand l'ennemi demeure
insaisissable ? Sans illusions, au risque de se perdre, Berthier et quelques autres choisissent malgré tout de croire en la justesse de leur combat et de devenir « des feux fragiles dans la nuit qui vient ».
Extrait
Depuis longtemps, Pierre Berthier avait cessé de croire que les hommes, et lui-même en particulier, pouvaient un tant soit peu infléchir le cours imprévisible des choses. Il n'en avait pas toujours été ainsi mais, avec le recul, cette arrogance fort répandue l'amusait presque. Selon lui, les fleuves détournés finissaient tous par rentrer dans leur lit, les plantes ensauvagées enterraient leurs jardiniers défunts et les palais bâtis pour mille ans s'écroulaient après quelques lustres sous les attaques conjointes des intempéries, de la mérule et des promoteurs.
Néanmoins, il croyait toujours dur comme fer aux vertus d'une certaine persévérance. À tout prendre, elle n'était qu'une des variantes de la fidélité, celle des perdants qui ne jouent plus pour gagner, mais davantage pour maintenir d'eux-mêmes, sans illusion sur sa réalité, une image proche de leurs rêves perdus, jamais vraiment reniés.
Aussi ce soir, malgré l'horaire détaillé repris sur la feuille de route, avait-il prolongé de quelques minutes l'arrêt prévu à l'entrée de la place des Commandeurs, vidée par la nuit et le couvre-feu. Contrairement à nombre de sous-officiers, fussent-ils réservistes comme lui, Berthier ne voulait voir dans les consignes que des cadres un peu lâches, adaptables selon les buts réels poursuivis par ceux qui les édictaient.