Meurtres entre soeurs
Olivia et Emily sont demi-sœurs et vivent une enfance heureuse. Jusqu'au jour où Mo et Pa ont un troisième enfant : Rosie, une vraie peste. Peu à peu, elle parvient à empoisonner l'existence de toute la famille, poussant Olivia et Emily dans leurs derniers retranchements.
Comment s'en débarrasser? Coups bas, manipulations et vengeances : impossible de s'ennuyer avec ces héroïnes aussi cyniques que déjantées.
Extrait
Un nouveau pavillon de jardin se dresse sur l’emplacement de l’ancien puits. La pompe a depuis longtemps disparu et les planches vermoulues qui recouvraient le trou béant ont été cassées et jetées dans les noires profondeurs avant que ne soit posée la dalle de ciment sur laquelle on a construit le pavillon. Le puits avait été creusé au milieu d’une petite cour pavée ombragée, et Olivia et Emily, petites, n’avaient pas le droit de s’approcher de ce coin calme et abrité. Mais on ne peut pas rêver lieu plus propice pour un pavillon de jardin.
— La route sera cachée, souligne Emmy, et on aura la vue sur les collines. Si on place le pavillon exactement où il faut, on ne verra plus du tout la route.
— Mais on l’entendra quand même, proteste Liv. Et n’essaie pas de me dire que c’est comme le bruit de la mer. C’est une autoroute. Je sais pertinemment que c’est une autoroute. Et le bruit de la circulation ne ressemble absolument pas à celui des vagues.
Lorsque le détective arrive pour mener son enquête sur Alice, les deux sœurs détournent soigneusement les yeux des clôtures en bois fraîchement enduites de xylophène et des confortables fauteuils en osier disposés dans la véranda. Elles choisissent de le faire entrer dans la grande cuisine. Tandis qu’elles préparent le café et sortent des biscuits, Liv et Emily évoquent calmement, avec une pointe de regret, les caprices de leur nièce. Le détective prend discrètement quelques notes et pose une ou deux questions. Emmy et Liv mentionnent à voix basse la propension d’Alice à prendre la poudre d’escampette sans crier gare, généralement vers des contrées lointaines, ses escapades, sac au dos, avec des compagnons peu recommandables, sans parler des risques inhérents à l’auto-stop. Le mot « drogue » est lâché dans un souffle d’anxiété horrifiée. Elles confirment qu’elles n’ont reçu ni lettre ni coup de téléphone d’Alice et se demandent, sans trouver de réponse précise, depuis combien de temps elles ne l’ont pas vue. Elles conviennent toutes deux que leur nièce ne s’est jamais souciée de sa famille et parlent de la détresse de ses pauvres parents, ce qui suscite une émotion tangible chez Emmy, que Liv s’empresse de réconforter.
Le détective finit son café, promet de leur transmettre les informations qu’il est susceptible de recueillir et reprend le volant. Les deux femmes agitent la main en signe d’adieu et regardent la voiture descendre l’allée et franchir la barrière. Elles restent debout en silence un moment. On entend le grondement sourd de la circulation sur l’autoroute plus nettement que d’habitude par cette étouffante matinée d’été, et l’odeur du xylophène se mêle au parfum du chèvrefeuille qui pousse sur le toit du garage. Sans un mot, elles se dirigent vers le pavillon et s’installent dans la véranda, les yeux tournés, au-delà de la pelouse en pente et des cimes des arbres dans la vallée en contrebas, vers les collines lointaines.
— N’oublie pas, dit Emily quand il est question de vendre la maison, que c’est chez moi ici. C’est de ma mère que nous l’avons héritée.
— Mais c’est mon père, rétorque Liv, qui a remboursé les prêts et les dettes. Sans tout le fric qu’il y a englouti, il n’y aurait pas de maison du tout.
— Là n’est pas la question.
— Mais si, justement, là est toute la question.
— Ah les filles, s’écrie Rosie en riant et en faisant mine de se boucher les oreilles avec une moue enfantine, vous n’allez pas recommencer ! Et puis je vous rappelle qu’il s’agit de ma mère et de mon père. Les deux autres se taisent alors, unies par leur antagonisme commun vis-à-vis de Rosie. Rosie, la benjamine, la fauteuse de troubles, la petite princesse, l’enfant de Ma et Pa.
Voilà cinquante ans que ça dure.
Le père d’Emmy, pilote de chasse, fut descendu en flammes au-dessus de la Manche. Un type sûr de lui, exubérant et porté sur les alcools forts. Orphelin très tôt, élevé par un tuteur strict, dépourvu d’humour et pétri de principes victoriens rigides, il avait trouvé dans la guerre qui venait d’éclater un moyen de s’évader, et cette liberté toute neuve avait eu pour le jeune homme qu’il était la saveur d’un vin capiteux et enivrant. Il rencontra Maureen lors d’un bal de la RAF et, sensible à l’adulation inconditionnelle qu’il suscitait chez elle, se convainquit aisément qu’il était amoureux d’elle. Tout était si nouveau et excitant : la vie ne demandait qu’à être dévorée à belles dents.