Les femmes vikings, des femmes puissantes

Auteur : Jóhanna Katrín Friðriksdóttir
Editeur : Autrement
Sélection Rue des Livres

Qui étaient les femmes vikings ?

Il n’y a guère d’imaginaire plus viril que celui des Vikings : barbares pillards à la barbe hirsute, grands explorateurs naviguant sur les mers de Scandinavie tandis que, quelque part entre Asgard et le Valhalla, Týr et Odin ourdissent de grands combats. Mais que faisaient les femmes vikings pendant ce temps ?
À la croisée des sources historiques, archéologiques et des sagas islandaises, cet ouvrage propose une relecture de la civilisation viking selon un prisme féminin. De la figure de la valkyrie qui décide du sort des guerriers au combat à la fière Guðrún qui venge l’honneur des siens, on découvre une femme viking qui, loin d’être cantonnée aux tâches domestiques, explore, décide, écrit, combat parfois. Chemin faisant, l’imaginaire que nous nous faisons de cette culture s’en trouve profondément modifié. Preuve, s’il en était besoin, que l’histoire ne se fait jamais sans les femmes.

Johanna Katrin Fridriksdottir est une chercheuse islandaise, docteure en littérature médiévale, spécialiste des textes et civilisations nordiques et des questions de genre.

Traduit de l’anglais (Islande) par Laurent Cantagrel
23,90 €
Parution : Octobre 2020
432 pages
ISBN : 978-2-7467-5683-0
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Extrait

Introduction
« Les valkyries décident qui doit mourir et qui doit vivre »
Nous tissons, nous tissons La toile de la lance,
Là où s’avance l’étendard Des virils combattants.
Ne laissons pas
Sa vie nous échapper.
Les valkyries décident
Qui doit mourir et qui doit vivre.

La bataille de Clontarf se déroula le 23 avril 1014, un Vendredi saint, près de Dublin. Dans un bain de sang qui aura coûté des milliers de vies, les forces de Brian Boru, haut-roi d’Irlande, résistèrent avec succès à une armée composée d’autres Irlandais, membres de factions rivales, et de leurs alliés nordiques. Il y avait plus de deux cents ans que les Scandinaves, venus sur leurs rapides bateaux, avaient pris pied en Irlande et dans l’ensemble des îles Britanniques – ils s’y étaient installés, y faisaient du commerce, se mariaient avec des autochtones et s’intégraient à leurs communautés. À côté de ces activités pacifiques, les Vikings se livraient également à ce pour quoi ils sont surtout connus aujourd’hui encore : ils pillaient les trésors sacrés des églises, assassinaient, faisaient des prisonniers pour les vendre comme esclaves, semant partout la terreur par leur férocité. La bataille de Clontarf est consignée à la fois dans les annales irlandaises et dans la plus célèbre des sagas islandaises, la Saga de Njáll le Brûlé (Brennu-Njáls saga), qui en raconte les principaux événements et décrit les plus éminents guerriers avec leurs particularités. L’auteur de la saga parle du combat en termes poétiques comme d’une « pluie de sang », métaphore simple mais efficace pour évoquer un carnage généralisé. Toutefois, contrairement aux sources irlandaises, il attribue cette effusion de sang à l’action de certaines femmes. N’allons pas croire que la bataille de Clontarf ait été livrée par des guerrières : s’il n’est évidemment pas impossible que quelques femmes s’y soient battues aux côtés des hommes, nous n’avons aucun témoignage à ce sujet. À en croire la Saga de Njáll le Brûlé, les principales responsables de cette hécatombe furent les valkyries, ces êtres féminins surnaturels qui choisissaient « qui doit mourir et qui doit vivre » sur le champ de bataille. Elles protégeaient certains guerriers et guidaient en direction des autres, voués à la mort, les flèches, les lances et les lames des épées.
Curieusement, la façon dont procèdent ces valkyries reproduit exactement la méthode du tissage, activité principale des femmes vikings. La Saga de Njáll le Brûlé raconte en effet que, le jour de la bataille, un homme appelé Dörruðr assista à un spectacle des plus étonnants. Dörruðr se trouvait à cinq cents miles de Dublin, dans le Caithness, la pointe nord-est de l’Écosse. Ce jour-là, il aperçut douze mystérieuses silhouettes entrer dans une maison qui disposait d’une pièce pour le tissage. Il s’approcha du bâtiment et, vaincu par la curiosité, regarda à l’intérieur pour voir ce qu’il s’y passait. Au premier abord, tout lui sembla normal : les silhouettes étaient celles de femmes qui avaient commencé à tisser sur ce qui devait être, selon l’usage de l’époque, un métier à tisser vertical à pesons. Mais Dörruðr s’aperçut bien vite que cette activité d’apparence domestique constituait en fait une véritable scène d’épouvante : les fils de trame et de chaîne, qui formaient l’étoffe en cours de tissage, n’étaient pas faits de matière textile, mais d’entrailles ; les poids qui maintenaient les chaînes tendues n’étaient pas des pierres, mais des crânes humains ; et, en guise d’outils, les tisseuses utilisaient une épée et une pointe de flèche pour fabriquer leur toile sanglante. Et ces femmes, qui n’étaient autres que des valkyries, accompagnaient leur travail d’un chant très rythmé, plein d’énergie, suivant le déroulement de la bataille.

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