Les morts
« À la fin de sa vie, Nägeli dira qu'en cent ans de cinéma, il n'y avait eu que cinq génies - Bresson, Vigo, Dovjenko, Ozu et lui-même. »
Au début des années 1930 un haut fonctionnaire japonais imagine la création d'un axe celluloïdique entre Tokyo et Berlin. C'est ainsi qu'un réalisateur suisse et mélancolique, Emil Nägeli, part au Japon tourner un film - et surtout retrouver sa maîtresse.
Entre farce et histoire, fascinant roman sur l'art et l'impérialisme des images, Les Morts a reçu le Schweizer Buchpreis en 2016. Il est en cours de traduction dans le monde entier.
La presse en parle
Le cinéaste suisse Emil Nägeli ne sait plus où il en est, dans ces années 1930 où les régimes politiques comme les codes culturels basculent. Il a réalisé un film minimaliste sur un village, Le Moulin à vent, à propos duquel des connaisseurs crient au génie. A l’autre bout du monde, au Japon, Masahiko Amakasu, un surdoué épris de cinéma qui porte aux nues Murnau, Dreyer et Renoir, voit avec dépit la culture américaine déferler sur son pays. Lui vient l’idée d’un « axe celluloïdique » entre Tokyo et Berlin, seul susceptible de contrer le cinéma made in USA. Il contacte la UFA, le puissant groupe cinématographique allemand, qui invite à son tour Emil Nägeli à tourner un film au Japon pour contribuer à « inonder » la planète de films allemands. Emil n’est pas dupe des manœuvres de ces « gangsters » incultes, mais Lotte Eisner et Siegfried Kracauer l’incitent à accepter : tout est permis quand il s’agit de ponctionner l’argent de la UFA. D’autant qu’au Japon il retrouverait sa maîtresse, une actrice à la dérive… Ce roman acide, nostalgique et loufoque, porte bien son titre : Les Morts désigne aussi bien le cinéma muet qu’une conscience européenne qui vacille devant les régimes totalitaires. Les destins, entre cynisme et illusions, vont se calciner comme du nitrate inflammable et Emil Nägeli, armé d’une Bolex 16 mm et d’une caméra Bell & Howell, va errer dans un Japon dont il ne filmera que les pèlerins et les fleurs de cerisier. Afin de sauver son âme et de ne pas être l’instrument des propagandes…
Gilles Heuré, Télérama