Scum Manifesto
En renversant l’image de la femme comme être inférieur par nature pour l’appliquer à l’homme, l’autrice démonte la mécanique de la domination masculine.
Un pamphlet littéraire et politique, où l’humour et la provocation révèlent les rapports de force entre les sexes. Depuis sa diffusion dans les rues de New York par Valerie Solanas en 1967, SCUM Manifesto est devenu un texte culte du féminisme.
Extrait
Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin.
Grâce au progrès technique, on peut aujourd’hui reproduire la race humaine sans l’aide des hommes (ou d’ailleurs sans l’aide des femmes) et produire uniquement des femmes ; conserver le mâle n’a même pas la douteuse utilité de permettre la reproduction de l’espèce.
Le mâle est un accident biologique ; le gène Y (mâle) n’est qu’un gène X (femelle) incomplet, une série incomplète de chromosomes. En d’autres termes, l’homme est une femme manquée, une fausse couche ambulante, un avorton congénital. Être homme c’est avoir quelque chose en moins, c’est avoir une sensibilité limitée. La virilité est une déficience organique, et les hommes sont des êtres affectivement infirmes. L’homme est complètement égocentrique, prisonnier de lui-même, incapable de partager, ou de s’identifier à d’autres ; inapte à l’amour, à l’amitié, à l’affection, la tendresse. Cellule complètement isolée, incapable d’établir des relations avec qui que ce soit, ses enthousiasmes ne sont pas réfléchis, ils sont toujours animaux, viscéraux, son intelligence ne lui sert qu’à satisfaire ses besoins et ses pulsions. Il ne connaît pas les passions de l’esprit ni les échanges mentaux ; il ne s’intéresse qu’à ses petites sensations physiques. Il n’est qu’un mort-vivant, un tas insensible, et pour ce qui est du plaisir et du bonheur, il ne sait ni en donner ni en recevoir. Au mieux de sa forme, il ne fait que distiller l’ennui, il n’est qu’une bavure sans conséquence, puisque seuls ont du charme ceux qui savent s’absorber dans les autres. Emprisonné dans cette zone crépusculaire qui s’étend des singes aux humains, il est encore beaucoup plus défavorisé que les singes parce que, au contraire d’eux, il présente tout un éventail de sentiments négatifs – haine, jalousie, mépris, dégoût, culpabilité, honte, blâme, doute – pis encore, il est pleinement conscient de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas.
Bien qu’il ne soit qu’un corps, l’homme n’est même pas doué pour la fonction d’étalon. à supposer qu’il possède une compétence purement technique – bien rare en vérité –, on ne peut déceler aucune sensualité, aucun humour dans sa façon de s’envoyer en l’air. Quand ça lui arrive, il culpabilise, il est dévoré de honte, de peur et d’angoisse (sentiments qui ont leurs racines profondément ancrées dans la nature du mâle, et même l’éducation la plus éclairée ne peut en venir tout à fait à bout). Ensuite, la jouissance qu’il en tire est proche du néant. Et pour finir, obsédé qu’il est par son désir de bien s’en sortir, de battre un record, de ramoner consciencieusement, il se soucie peu d’être en harmonie avec sa partenaire. C’est encore trop le flatter que de le comparer à un animal. Il n’est qu’une mécanique, un godemiché ambulant. On prétend souvent que les hommes utilisent les femmes. Les utilisent à quoi ? En tout cas, sûrement pas au plaisir.
Rongé qu’il est de culpabilité, de honte, de peurs et d’angoisses, et malgré la vague sensation décrochée au bout de ses efforts, son idée fixe est toujours : baiser, baiser. Il n’hésitera ni à nager dans un océan de merde ni à s’enfoncer dans des kilomètres de vomi, s’il a le moindre espoir de trouver sur l’autre rive un con bien chaud. Il baisera n’importe quelle vieille sorcière édentée, n’importe quelle femme même s’il la méprise, et il ira jusqu’à payer pour ça. Et pourquoi toute cette agitation ? Si c’était pour soulager une tension physique, il lui suffirait de se masturber, et puis s’il va jusqu’à violer des cadavres et des bébés, ce n’est sûrement pas pour combler son ego. Alors pourquoi ? Complètement égocentrique, incapable de communiquer et de s’identifier aux autres (voir plus haut), n’existant que par une sexualité endémique et diffuse, le mâle est psychiquement passif. Et parce que sa propre passivité lui fait horreur, il tente de s’en débarrasser en la projetant sur les femmes. Il postule que l’homme est Actif, et s’attache ensuite à démontrer qu’il est actif, donc qu’il est un Homme. Et pour ce faire, il baise ! (Moi je suis un Vrai Mec et j’ai une Grosse Queue et comment que je Tire mon Coup.) Mais comme ce qu’il cherche à démontrer est faux, il est obligé de toujours recommencer. Alors baiser devient un besoin irrépressible, une tentative désespérée de prouver qu’il n’est pas passif, qu’il n’est pas une femme. Mais en fait il est passif, et son désir profond est d’être une femme. Femelle incomplète, le mâle passe sa vie à chercher ce qui lui manque, à tenter de devenir une femme. Voilà pourquoi il est constamment à l’affût des femmes, voilà pourquoi il fraternise ; il veut vivre à travers elles, se fondre en elles. Voilà pourquoi il revendique tout ce qui caractérise en fait les femmes, la force de caractère et l’indépendance affective, l’énergie, le dynamisme, l’esprit d’initiative, l’aisance, l’objectivité, l’assurance, le courage, l’intégrité, la vitalité, l’intensité, la profondeur, le sens de la rigolade, etc. Voilà pourquoi il projette sur les femmes tout ce qui caractérise les hommes, la vanité, la frivolité, la banalité, la faiblesse, etc. (Il faut cependant reconnaître qu’il existe un domaine dans lequel les hommes sont largement supérieurs aux femmes : celui des relations publiques. C’est de cette façon qu’ils réussissent à faire croire à des millions de femmes qu’elles sont des hommes et vice versa.) Les hommes prétendent que les femmes trouvent leur épanouissement dans la maternité et la sexualité, ce qui correspond à ce qu’ils trouveraient satisfaisant, les pauvres, s’ils étaient des femmes. Autrement dit, ce ne sont pas les femmes qui envient le pénis, mais les hommes qui envient le vagin. Lorsque le mâle se résout finalement à accepter sa passivité et se définit comme femme (les hommes, aussi bien que les femmes, prennent chaque sexe pour l’autre), bref lorsque le mâle devient un travesti, il perd tout désir de baiser (ou de quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs, son rôle de vamp à pédé lui suffit), et il se fait couper la queue dans l’espoir de ressentir on ne sait quelle vague jouissance permanente à l’idée d’être femme. Baiser permet aux hommes de se protéger contre leur désir d’être des femmes. La sexualité est en elle-même une sublimation.