Dieu et l'Etat

Auteur : Mikhaïl Bakounine
Editeur : Mille et une nuits

Précieuse synthèse du socialisme libertaire de Bakounine, Dieu et l’État attaque avec virulence les institutions religieuses et étatiques, responsables de l’esclavagisme moderne. Face à cette autorité désastreuse pour la liberté humaine, une seule solution : la Révolution sociale.
Le peuple n’a que trois moyens de s’en sortir : « Les deux premiers, c’est le cabaret et l’église, la débauche du corps ou la débauche de l’esprit ; le troisième, c’est la révolution sociale. »

Dieu et l'État est le texte fondateur de la pensée socialiste libertaire de Mikhaïl Bakounine. Sa critique violente à l’égard de toute autorité se révèle toujours aussi inspirante.

4,00 €
Parution : Avril 2021
Format: Poche
120 pages
ISBN : 978-2-7555-0779-9
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Extrait

Trois éléments ou, si vous voulez, trois principes fondamentaux constituent les conditions essentielles de tout développement humain, tant collectif qu’individuel dans l’histoire : 1ol’animalité humaine ; 2° la pensée ; et 3° la révolte. A la première correspond proprement l’économie sociale et privée ; à la seconde, la science ; à la troisième, la liberté.
Les idéalistes de toutes les Écoles, aristocrates et bourgeois, théologiens et métaphysiciens, politiciens et moralistes, religieux, philosophes ou poètes – sans oublier les économistes libéraux, adorateurs effrénés de l’idéal, comme on sait –, s’offensent beaucoup lorsqu’on leur dit que l’homme, avec son intelligence magnifique, ses idées sublimes et ses aspirations infinies, n’est, aussi bien que toutes les autres choses qui existent dans le monde, rien que matière, rien qu’un produit de cette vile matière.
Nous pourrions leur répondre que la matière dont parlent les matérialistes, matière spontanément, éternellement mobile, active, productive, matière chimiquement ou organiquement déterminée, et manifestée par les propriétés ou les forces mécaniques, physiques, animales et intelligentes qui lui sont foncièrement inhérentes, que cette matière n’a rien de commun avec la vile matière des idéalistes. Cette dernière, produit de leur fausse abstraction, est effectivement un être stupide, inanimé, immobile, incapable de produire la moindre des choses, un caput mortuum, une vilaine imagination opposée à cette belle imagination qu’ils appellent Dieu, l’Être suprême vis-à-vis duquel la matière, leur matière à eux, dépouillée par eux-mêmes de tout ce qui en constitue la nature réelle, représente nécessairement le suprême Néant. Ils ont enlevé à la matière l’intelligence, la vie, toutes les qualités déterminantes, les rapports actifs ou les forces, le mouvement même, sans lequel la matière ne serait pas même pesante, ne lui laissant rien que l’impénétrabilité et l’immobilité absolue dans l’espace ; ils ont attribué toutes ces forces, propriétés et manifestations naturelles, à l’Être imaginaire créé par leur fantaisie abstractive ; puis, intervertissant les rôles, ils ont appelé ce produit de leur imagination, ce fantôme, ce Dieu qui est le Néant : « l’Être suprême » ; et, par une conséquence nécessaire, ils ont déclaré que l’Être réel, la matière, le monde, était le Néant. Après quoi ils viennent nous déclarer gravement que cette matière est incapable de rien produire, ni même de se mettre en mouvement par elle-même, et que par conséquent elle a dû être créée par leur Dieu.
Qui a raison, les idéalistes ou les matérialistes ? Une fois que la question se pose ainsi, l’hésitation devient impossible. Sans doute, les idéalistes ont tort, et seuls les matérialistes ont raison. Oui, les faits priment les idées, oui, l’idéal, comme l’a dit Proudhon, n’est qu’une fleur dont les conditions matérielles d’existence constituent la racine. Oui, toute l’histoire intellectuelle et morale, politique et sociale de l’humanité est un reflet de son histoire économique.
Toutes les branches de la science moderne, consciencieuse et sérieuse, convergent à proclamer cette grande, cette fondamentale et cette décisive vérité : oui, le monde social, le monde proprement humain, l’humanité en un mot, n’est autre chose que le développement dernier et suprême – suprême pour nous au moins et relativement à notre planète –, la manifestation la plus haute de l’animalité. Mais comme tout développement implique nécessairement une négation, celle de la base ou du point de départ, l’humanité est en même temps et essentiellement la négation réfléchie et progressive de l’animalité dans les hommes ; et c’est précisément cette négation aussi rationnelle que naturelle, et qui n’est rationnelle que parce qu’elle est naturelle, à la fois historique et logique, fatale comme le sont les développements et les réalisations de toutes les lois naturelles dans le monde – c’est elle qui constitue et qui crée l’idéal, le monde des convictions intellectuelles et morales, les idées.
Oui, nos premiers ancêtres, nos Adams et nos Èves, furent, sinon des gorilles, au moins des cousins très proches du gorille, des omnivores, des bêtes intelligentes et féroces, douées, à un degré infiniment plus grand que les animaux de toutes les autres espèces, de deux facultés précieuses : la faculté de penser et la faculté, le besoin de se révolter.
Ces deux facultés, combinant leur action progressive dans l’histoire, représentent proprement le moment, le côté, la puissance négative dans le développement positif de l’animalité humaine, et créent par conséquent tout ce qui constitue l’humanité dans les hommes.
La Bible, qui est un livre très intéressant et parfois très profond, lorsqu’on le considère comme l’une des plus anciennes manifestations, parvenues jusqu’à nous, de la sagesse et de la fantaisie humaines, exprime cette vérité d’une manière fort naïve dans son mythe du péché originel. Jéhovah, qui, de tous les dieux qui ont jamais été adorés par les hommes, est certainement le plus jaloux, le plus vaniteux, le plus féroce, le plus injuste, le plus sanguinaire, le plus despote et le plus ennemi de la dignité et de la liberté humaines, ayant créé Adam et Ève, par on ne sait quel caprice, sans doute pour tromper son ennui qui doit être terrible dans son éternellement égoïste solitude, ou pour se donner des esclaves nouveaux, avait mis généreusement à leur disposition toute la terre, avec tous les fruits et tous les animaux de la terre, et il n’avait posé à cette complète jouissance qu’une seule limite. Il leur avait expressément défendu de toucher aux fruits de l’arbre de la science. Il voulait donc que l’homme, privé de toute conscience de lui-même, restât une bête, toujours à quatre pattes devant le Dieu éternel, son Créateur et son Maître. Mais voici que vient Satan, l’éternel révolté, le premier libre penseur et l’émancipateur des mondes. Il fait honte à l’homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l’émancipé et imprime sur son front le sceau de la liberté et de l’humanité, en le poussant à désobéir et à manger du fruit de la science.

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