Kaléidoscope : Volume 2, Ce qui commence et ce qui finit
Dans ce deuxième tome de la série Kaléidoscope, Tristan Garcia poursuit son entreprise de renouvellement du genre philosophique de l’encyclopédie, en analysant, cette fois, ce qui commence et ce qui finit avec le monde actuel.
Présentation de l'éditeur
« Tout ce que je souhaite, c’est de pouvoir aimer ce qui commence et ce qui finit, sans faire semblant, sans faire passer un effondrement pour une révélation, ni une gestation pour une agonie. »
Le deuxième tome de Kaléidoscope rassemble une nouvelle série de textes de l’écrivain et philosophe Tristan Garcia. Tous sont reliés par un fil secret : la recherche d’une limite entre le monde ancien et le monde nouveau, entre la nostalgie et l’impatience, entre ce que nous gagnons et ce que nous perdons dans les changements de l’époque.
Où débute, où s’arrête une frontière ? Qu’est-ce qu’un esprit réactionnaire ? Comment voir quelque chose d’original dans des images sans cesse recopiées ? Pourquoi lisons-nous des romans policiers ? Autant de questions contemporaines, parfois inattendues, auxquelles ces courts essais se proposent de répondre.
La pensée de Tristan Garcia est exigeante, rétive aux fausses simplifications, mais toujours éclairante. Là où le monde nous semble défait, abîmé ou incompréhensible, elle nous guide, du moins nous apprend, ici et maintenant, à ne pas confondre les aurores et les crépuscules.
Extrait
J’aimerais être capable de ne jamais confondre les aurores et les crépuscules, ce qui commence et ce qui finit.
Je voudrais les distinguer pour n’humilier ni les uns ni les autres. En politique, en art, en amour et en amitié, il arrive sans cesse qu’on prenne le début de quelque chose pour la fin d’autre chose, et une mort pour une naissance.
On déplore un déclin, on ne voit plus ce qui grandit.
Ou bien, au contraire, on devient obnubilé par de nouvelles formes d’existence, des mutations perpétuelles ;
et puis on ne perçoit plus ce qui dans cette transformation est en train de mourir.
Sans cesse, on empêche de naître, et on interdit de mourir – les modes de vie, les idées et les hommes.
Dans les deux cas, je me méfie.
Il est facile de préférer ce qui émerge, ce qui prend forme, ce qui promet.
Il est facile de renvoyer ce qui dure, ce qui s’épuise,
ce qui s’achève à l’oubli.
Et comme par symétrie, ce n’est jamais très compliqué de mortifier ce qui vient de naître :
C’est à peine.
On peut toujours lui faire la leçon : une nouvelle façon de faire, de dire, de lutter ;
un enfant, une génération, un mouvement.
On a la tentation de préférer ce qui demeure, ce qui retient la fuite, ce qui empêche l’éternelle nouveauté sur fond d’anéantissement.
Il y a deux types d’homme que j’essaie de ne pas être : d’abord l’homme forcé à la mélancolie, hanté par les crépuscules, l’homme qui devine la tombe dans le berceau
(par avance, il juge ce qui naît du point de vue de la déception que ça lui causera.
Il est inquiet et ne parle plus que des conséquences de «tout ça»); ensuite l’homme forcé à la joie, obsédé par ce qui apparaît, l’homme qui fait honte à tout ce qui vieillit,
celui qui n’admet que les printemps et qui vit sans hiver.
J’essaye de vivre et de penser ni comme le premier, ni comme le second.
Tout ce que je souhaite, c’est de pouvoir aimer
ce qui commence et ce qui finit,
sans faire semblant,
sans faire passer un effondrement pour une révélation, ni une gestation pour une agonie.