Sept années de bonheur

Auteur : Etgar Keret
Editeur : Points

Si une bombe peut nous tomber dessus à tout moment, à quoi bon faire la vaisselle ? Avec une ironie hors du commun, Etgar Keret relate sept années de sa vie à Tel-Aviv : la naissance de son fils, l'histoire de sa soeur ultra-orthodoxe et de ses onze enfants, les chauffeurs de taxi irascibles, ses parents rescapés de l'Holocauste, les tournées littéraires mouvementées. et l'attitude peu banale qu'il convient d'adopter lorsqu'une roquette tombe dans votre jardin.

6,50 €
Parution : Juin 2015
Format: Poche
192 pages
ISBN : 978-2-7578-5215-6
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Extrait

Soudain, on remet ça

«Ce que ça peut être flippant, les attentats terroristes, dit l'infirmière fluette à sa collègue plus âgée. Tu veux un chewing ?»
La collègue prend une dragée et hoche la tête. «Qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse ? répond-elle. Les urgences aussi c'est flippant si tu vas par là.
- Je te parle pas des urgences», l'infirmière fluette tient à son idée. «Avec les accidents et ces trucs-là y a pas de souci. Moi je te parle des attentats. Ça rend moche tout le reste.»
Sur le banc devant l'entrée de la maternité, je me dis, c'est pas faux, ce qu'elle raconte. Je suis arrivé voilà une heure, tout excité, avec ma femme et un chauffeur de taxi maniaque de la propreté qui n'avait qu'une trouille quand ma femme a perdu les eaux : que ça abîme ses coussins. Et maintenant, assis dans le couloir, je me sens d'une humeur de chien, j'attends que le personnel revienne des urgences. En dehors des deux infirmières ils sont tous allés donner un coup de main pour soigner les victimes de l'attentat. Même les contractions de ma femme ont ralenti, alors... Ça ne m'étonnerait pas que l'enfant lui-même se dise que cette histoire de venue au monde et tout le tremblement n'est pas si pressante en définitive. Sur le chemin de la cafétéria, je croise quelques-uns des blessés qui passent allongés sur des chariots aux roues couinantes. Dans le taxi qui nous a conduits à l'hôpital, ma femme hurlait comme une dingue, alors que tous ces gens-là sont silencieux.
«Vous êtes Etgar Keret ? me demande un mec en chemise à carreaux. L'écrivain ?» Je fais oui de la tête, bien obligé. «Ça alors, c'est quelque chose ! dit-il en tirant de son sac un magnétophone miniature. Vous étiez où quand c'est arrivé ?» Voyant que j'hésite une seconde, il tient à faire montre d'empathie : «Prenez votre temps. Je vous mets pas la pression. Vous avez vécu un truc traumatisant.
- J'y étais pas, dans l'attentat. C'est une coïncidence si je suis ici aujourd'hui. Ma femme accouche.
- Ah, d'accord, lâche-t-il sans même chercher à cacher sa déception, et il enfonce le bouton d'arrêt de son magnétophone. Mazel tov.» Du coup il s'assied à côté de moi et allume une cigarette.
«Vous devriez peut-être essayer d'interviewer quelqu'un d'autre, je suggère, dans l'espoir de me débarrasser de la fumée de sa Lucky Strike qu'il me souffle en pleine figure. Y a un instant, j'ai vu passer deux personnes qu'on emmenait en neurologie.

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