Alex Verus. Destinée - tome 1
Au détour d’une ruelle sombre de Camden à Londres, le Grand Bazar de l’occulte vous attend. Le propriétaire sait déjà que vous êtes en route, il est devin.
Alex Verus peut voir le futur comme un faisceau de probabilités. Derrière le comptoir de sa boutique d’accessoires de magie, il a tourné le dos à la confrérie des mages, ses rivalités, ses secrets, ses morts, pour mener une existence sans histoires. Mais quand une relique puissante échoue entre ses mains, il se retrouve malgré lui pris entre les forces de la Lumière et des Ombres, obligé de choisir un camp dans une bataille qui le dépasse. Et qui va raviver de vieilles blessures…
Benedict Jacka vit à Londres. Il a étudié la philosophie à Cambridge. Ses passions vont des arts martiaux à la danse de salon, et du skateboard aux jeux vidéo. La série Alex Verus s’est vendue à plus de 500 000 exemplaires dans le monde.
Extrait
C’était une journée calme, et j’étais tranquillement en train de lire derrière le comptoir, en scrutant l’avenir.
Il n’y avait que deux clients dans la boutique. Le premier était un étudiant, la chevelure en bataille, qui jetait nerveusement des coups d’œil par-dessus son épaule. Il se tenait près du rayon des herbes et des poudres et avait déjà fait son choix depuis dix bonnes minutes sans trouver le courage de venir m’en parler. Le second était un ado en T-shirt Linkin Park qui avait repéré une boule de cristal mais attendait que le premier soit parti pour passer à la caisse.
Il était venu à vélo et, d’ici quinze minutes, une contractuelle en patrouille allait le verbaliser pour avoir accroché sa bécane à la rambarde. Ensuite, je recevrais un appel durant lequel je ne voudrais pas être dérangé. Aussi ai-je posé mon livre sur mon bureau avant de me tourner vers l’étudiant.
« Je peux vous aider ? »
Il a sursauté et s’est approché de moi en jetant des coups d’œil furtifs à l’autre gars, puis il a répondu en baissant la voix : « Euh, bonjour. Est-ce que vous...
– Non. Je ne vends pas de livres de sorts. – Même pas...
– Non.
– Est-ce qu’il existe... euh... un moyen de vérifier ?
– Le sort auquel vous pensez est inoffensif. Essayez-le puis allez parler à la fille pour voir ce qui se passe. »
L’étudiant m’a dévisagé d’un air ébahi. « Vous avez deviné rien qu’avec ça ? »
Je n’avais pas prêté attention aux herbes qu’il tenait à la main, mais autant lui laisser croire qu’il avait vu juste. « Vous voulez un sac ? »
Il a placé la verveine, la myrrhe et l’encens dans le sachet que je lui tendais et a payé sans cesser de me fixer d’un air stupéfait, puis il est parti. La porte s’était à peine refermée que l’autre gamin est venu me demander le prix d’une des plus grosses boules de cristal en affectant un air détaché. Je n’ai même pas pris la peine de vérifier ce qu’il comptait en faire – pour se blesser avec une boule de cristal, il faut vraiment le vouloir, par exemple se taper la tête avec. Or je ne pourrais pas en dire autant de certains articles que je vends. Une fois le gamin ressorti avec son gros sac en papier, je me suis levé et suis allé placarder le petit écriteau FERMÉ sur la porte. Par la vitrine, j’ai vu l’ado détacher son vélo et l’enfourcher. Environ trente secondes plus tard, une contractuelle est passée.
Ma boutique est située dans le quartier de Camden Town, dans le centre de Londres. Ma rue se trouve au milieu d’une sorte de nœud urbain dessiné par le canal, trois ponts et deux lignes de chemin de fer qui s’entremêlent. Les ponts et le canal forment comme un rempart, et ce secteur est une oasis au cœur de la ville. En dehors des trains qui vont et viennent, l’ambiance est étonnamment calme. J’aime monter sur le toit pour contempler le canal et les silhouettes biscornues des immeubles. Parfois, le soir ou tôt le matin, quand l’écho de la circulation est assourdi et que la luminosité est réduite, on dirait presque un passage vers un autre monde.
L’enseigne au-dessus de ma porte indique : « Grand Bazar de l’Occulte ». Au-dessous, une pancarte plus petite détaille certains des articles que je vends : ustensiles, réactifs, articles de renforcement... ce genre de choses. Vous vous dites sans doute qu’il aurait été plus simple d’annoncer : « Magasin de magie », mais j’en avais assez de voir défiler des gens en quête d’anneaux magiques et de cartes marquées. J’ai fini par passer un accord avec une boutique de farces et attrapes située à cinq cents mètres d’ici, et je garde sur mon comptoir une pile de leurs cartes de visite, au cas où un gars franchirait la porte pour me réclamer le dernier livre de David Blaine. Les gosses sont ravis du tuyau, et moi j’y gagne un peu de tranquillité et de silence.
Je m’appelle Alex Verus. Ce n’est pas mon nom de naissance, mais ça, c’est une autre histoire. Je suis devin. On appelle parfois les gens comme moi oracles, ou voyants. Ou bien mages, si on veut se donner le genre intello. Personnellement, tous ces termes me conviennent, du moment qu’on ne me traite pas de « diseur de bonne aventure ». Je ne suis pas le seul mage dans ce pays, mais à ma connaissance je suis le seul à tenir une boutique.
Les mages tels que moi ne sont pas courants, mais nous ne sommes pas non plus aussi rares que vous pourriez le croire. Nous ne présentons aucun signe distinctif, et si vous croisiez l’un de nous dans la rue, il est fort probable que vous ne vous rendriez compte de rien. Seuls les plus observateurs remarqueraient peut-être une petite étrangeté, une bizarrerie, mais, le temps de vérifier, nous aurions déjà disparu. C’est un autre monde, camouflé au cœur du vôtre, et la plupart de ceux qui y vivent n’aiment pas recevoir de visite.