Transit

Auteur : Rachel Cusk
Editeur : Points

Tout juste séparée, Faye emménage à Londres avec ses deux fils et se livre à la rénovation du nouvel appartement. Ce qui n’était qu’une étape très matérielle de l’existence prend des tours inattendus et débouche sur des questionnements bien plus profonds : comment habiter une nouvelle vie ? Est-il vraiment possible de transformer ce qu’on est ? L’émouvant portrait d’une femme qui cherche sa place dans le monde.

Traduction : Cyrielle Ayakatsikas
7,40 €
Parution : Octobre 2020
Format: Poche
240 pages
ISBN : 978-2-7578-7968-9
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Extrait

Je reçus un e-mail d’une astrologue m’informant qu’elle avait d’importantes nouvelles à m’annoncer à propos d’événements censés survenir bientôt dans ma vie. Elle était en mesure de voir des choses qui m’échappaient : elle avait eu accès à mes données personnelles, ce qui lui avait permis d’interroger les planètes pour moi. Elle tenait à ce que je sache qu’un transit majeur devait se produire prochainement dans mon ciel. Cette découverte et les changements qui pouvaient en découler l’enthousiasmaient grandement. Moyennant une somme modique, elle était disposée à m’en faire part afin de me permettre d’en tirer profit.
Elle percevait – poursuivait-elle dans son message – que j’avais perdu le fil de mon existence, que parfois je peinais à trouver un sens à ma situation actuelle et à garder espoir en l’avenir ; elle sentait qu’un lien fort nous unissait et savait, sans pouvoir en donner la raison, que certaines choses devaient défier l’entendement. Si elle avait conscience que beaucoup de gens étaient hermétiques aux interprétations de la carte du ciel au-dessus de leur tête, elle était intimement convaincue que ce n’était pas mon cas. Je n’avais pas cette foi aveugle dans la réalité, qui poussait les autres à réclamer des explications concrètes. Elle savait que j’avais assez souffert pour commencer à me poser certaines questions restées sans réponse à ce jour. Les mouvements des planètes créaient pourtant un spectre infini de répercussions sur la destinée humaine : peut-être que certaines personnes ne s’estimaient tout simplement pas assez importantes pour y figurer. La triste réalité, disait-elle, est qu’en cette ère de science et d’incroyance, nous n’avons plus conscience de notre propre valeur. Nous sommes devenus cruels aussi bien envers les autres qu’envers nous-mêmes, parce que, au bout du compte, nous nous croyons insignifiants. Ce que nous offrent les planètes, disait-elle, n’est rien de moins que l’opportunité de retrouver la foi dans la grandeur de l’être humain : quelle part immense de dignité et d’honneur, de gentillesse, de responsabilité et de respect engagerions-nous dans nos interactions si chacun d’entre nous croyait en son importance cosmique ? Elle avait le sentiment que je percevais mieux que quiconque les bénéfices que cela représenterait en termes de prospérité et de paix dans le monde, sans parler de la révolution que pourrait engendrer l’introduction dans la sphère privée d’une conception sublimée de la destinée. Elle espérait que je l’excuserais de m’avoir contactée de cette manière et de me parler si franchement. Mais comme elle l’avait dit, elle sentait qu’un lien fort nous unissait, ce qui l’avait encouragée à s’ouvrir ainsi.
Il n’était pas impossible que les algorithmes informatiques qui avaient généré cet e-mail aient généré l’astrologue elle-même : sa façon de s’exprimer n’était pas assez impersonnelle et les aspects de son caractère trop souvent soulignés ; le modèle humain sur lequel elle était calquée était bien trop caricatural pour qu’elle soit, elle-même, humaine. Cela rendait sa compassion et l’attention qu’elle me portait presque sinistres ; mais c’était pour ces mêmes raisons qu’elles semblaient désintéressées. L’un de mes amis, en proie à la dépression suite à son divorce, m’avait récemment avoué que la phraséologie des publicités ou des emballages de produits alimentaires soucieux de sa santé et de son bien-être l’émouvait souvent aux larmes, de même que les annonces automatisées à bord des trains et des bus, apparemment inquiètes qu’il puisse rater son arrêt ; il disait éprouver, au volant de sa voiture, un sentiment qui s’apparentait indéniablement à de l’amour pour la voix féminine qui le guidait avec tellement plus de dévouement que sa femme ne l’avait jamais fait.

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