Au coeur de la violence
« Reda se lève et marche d’une extrémité à l’autre de la chambre.
Reda
tu vas le payer, je vais te buter moi sale pédé, tu m’as insulté de voleur, je vais te faire la gueule pédale.
Édouard, voix intérieure
voilà pourquoi. Il désire et il déteste son désir. Maintenant il veut se justifier de ce qu’il a fait avec toi. Il veut te faire payer son désir. Il veut se faire croire que ce n’était pas parce qu’il te désirait que vous avez fait tout ce que vous avez fait mais que ce n’était qu’une stratégie pour faire ce qu’il te fait maintenant, que vous n’avez pas fait l’amour mais qu’il te volait déjà. »
Extrait
ÉDOUARD
et donc, quelques heures après ce que la copie de la plainte que je garde pliée en quatre dans un tiroir appelle la tentative d’homicide, je suis sorti de chez moi et j’ai descendu l’escalier ; j’ai traversé la rue sous la pluie pour aller laver mes draps à quatre-vingt-dix degrés à la laverie, en bas, à moins d’une cinquantaine de mètres de la porte de mon immeuble, le dos courbé par un sac de linge trop encombrant, trop lourd, les jambes qui fléchissaient sous son poids.
Il ne faisait pas encore complètement jour. La rue était vide. J’étais seul et je marchais, mes pieds butaient, je n’avais que quelques pas à faire et pourtant la hâte me faisait compter :
ÉDOUARD, VOIX INTÉRIEURE
plus qu’une cinquantaine de pas, allez, plus qu’une vingtaine de pas et tu y seras.
ÉDOUARD j’accélérais.
ÉDOUARD, VOIX INTÉRIEURE
dans une semaine tu te diras : Ça fait déjà une semaine que c’est arrivé, allez, et dans un an tu te diras : Ça fait déjà un an que c’est arrivé.
ÉDOUARD
j’avais froid – et je pensais :
ÉDOUARD, VOIX INTÉRIEURE
il pourrait revenir, il va revenir, maintenant je suis condamné à errer, il t’a condamné à errer.
ÉDOUARD
à la laverie il y avait le gérant de l’établissement.
ÉDOUARD, VOIX INTÉRIEURE, se rappelant vous allez bien ?
ÉDOUARD non !!!
Un temps.
je le disais aussi durement que j’en étais capable. J’ai attendu sa réaction. Je voulais qu’il réagisse mais il n’a pas cherché à en savoir plus et je l’ai détesté de ne pas me poser de questions.
Un temps.
je suis remonté chez moi avec les draps propres. Je suais dans l’escalier. J’ai refait le lit, il semblait toujours imprégné de l’odeur de Reda, alors j’ai allumé des bougies, brûlé de l’encens ; ça ne suffisait pas ; j’ai pris du désodorisant, du déodorant, les eaux de toilette, aussi, que j’avais reçues à l’occasion de mon précédent anniversaire, les eaux de Cologne, et j’en ai aspergé les draps, j’ai savonné les taies d’oreiller que pourtant je venais de laver, passé une éponge imbibée sur les livres qu’il avait manipulés, frotté les poignées de porte à l’aide de lingettes antiseptiques, dépoussiéré minutieusement et une à une les lames en bois des persiennes, déplacé et interchangé les piles de livres posées à même le sol, lustré la structure métallique du lit, pulvérisé un produit citronné sur la surface lisse et blanche du réfrigérateur ; je ne parvenais pas à m’arrêter, mû par une énergie proche de la folie. J’ai pensé :
ÉDOUARD, VOIX INTÉRIEURE mieux vaut être fou que mort.
ÉDOUARD
j’ai récuré la douche qu’il avait utilisée, vidé plusieurs litres d’eau de Javel dans les toilettes et dans la vasque du lavabo – du moins un peu plus de deux litres, c’est-à-dire une bouteille d’un litre et demi encore pleine et une autre, à moitié vide –, récuré l’ensemble de la salle de bains, c’était absurde, allant jusqu’à nettoyer le miroir dans lequel il s’était regardé ou plutôt admiré ce soir-là, jeté aux ordures les vêtements qu’il avait touchés, les laver n’aurait pas suffi ; je ne sais pas pourquoi cela suffisait pour les draps et pas pour les vêtements.