Complicités animales : 70 histoires vraies
Une femelle gorille protège un enfant tombé dans son enclos. Un dauphin sauve de l'échouage un cachalot et son petit. Oscar, le chat accompagne les dernières heures des mourants. Des fourmis soignent leurs blessés sur un champ de bataille...
À rebours de l'idée selon laquelle les animaux n'agiraient que par instinct, ces 70 histoires dévoilent toute l'empathie, l'entraide, l'amitié, la compassion, la coopération dont ils sont capables. Loin de la loi de la jungle et du plus fort, lorsqu'il s'agit de tendre la main – la patte – ils ne sont pas en reste.
Extrait
Binti Jua,
le gorille qui protégea l’enfant
Il fait beau ce 16 août 1996. Dans le zoo de Brookfield près de Chicago, aux États-Unis, la foule est nombreuse et les enfants se pressent autour des enclos pour voir les lions, les éléphants ou les ours. Un petit garçon de 3 ans tente désespérément d’apercevoir la famille de gorilles qui se tient dans une vaste fosse en contrebas. Échappant quelques secondes à la vigilance de ses parents, il bascule par-dessus la barrière et fait une chute de 7 mètres. Un cri d’effroi retentit dans tout le parc. Les singes ont cessé toute activité. L’enfant gît sur le sol en béton, inconscient. L’alerte est rapidement lancée par le personnel du zoo. Un primate s’approche du corps inerte et s’assied à ses côtés. Binti Jua, dont le nom en swahili signifie « fille du soleil », est une femelle âgée de 8 ans. Koola, son petit de 17 mois, se tient fermement accroché à son dos. Elle se penche sur l’enfant, hésite, le touche délicatement, espérant peut-être une réaction qui ne vient pas. Lorsque d’autres gorilles montrent de la curiosité, elle s’interpose, ne laissant aucun d’eux approcher. Pendant ce temps, deux gardiens sont entrés dans la fosse et, à l’aide de jets d’eau, parviennent à repousser les autres gorilles dans leur quartier d’hiver. Ce que va faire Binti Jua va alors laisser la foule sans voix. Elle saisit l’enfant sous un bras, et alors que les spectateurs retiennent leur souffle, le transporte jusqu’à la porte de l’enclos devant laquelle elle s’assoit. Lorsqu’un des hommes ouvre la porte, la mère gorille le laisse prendre l’enfant, qui sera aussitôt confié à une équipe médicale. Conduit à l’hôpital, il se remettra complètement de sa chute et n’apprendra qu’à son réveil sa mésaventure. Entre-temps, les quelques images de la mère gorille sauvant l’enfant font le tour des journaux télévisés du monde. Interrogés sur un tel comportement, les spécialistes émettent l’hypothèse que Binti Jua ayant été élevée dès la naissance par des hommes a naturellement une certaine promiscuité avec les humains, ce qui expliquerait son attitude protectrice. Avant les années 2000, l’idée qu’un animal puisse ressentir une forme d’empathie est loin de faire l’unanimité chez les éthologues et encore moins qu’un tel sentiment puisse exister entre espèces différentes, fussent-elles proches comme les gorilles et les humains. Une histoire similaire aurait pourtant pu les mettre sur la voie. Dix ans auparavant, Jambo est l’une des attractions du zoo de Jersey. Ce gorille de 25 ans, d’environ 150 kilos et de près de 2 mètres, est un dos argenté, c’est-à-dire un mâle dominant, caractérisé par son pelage dorsal gris. Comme Binti Jua, il est né en captivité, mais, contrairement à elle, il a été élevé par sa véritable mère. On peut donc considérer qu’il est moins imprégné par les humains que ne l’était la femelle.
En ce mois d’août 1986, la famille Merritt est en vacances et, pour l’anniversaire du petit dernier, a décidé de visiter le fameux zoo fondé par le naturaliste Gerald Durrell. Levan a 5 ans lorsqu’il tombe dans la fosse aux gorilles. 7 mètres au-dessus, les parents regardent, médusés et impuissants, un gorille se diriger vers le corps inerte de leur enfant. Jambo s’approche, sent puis touche délicatement le corps du petit garçon. Il ne fait preuve d’aucune agressivité, plutôt de curiosité. En revanche, il interdit à tout autre membre de sa troupe d’approcher, veillant sur le « petit d’homme » comme sur un trésor. Malgré la violence de sa chute, Levan retrouve petit à petit ses esprits et tente de se relever. La foule lui crie de ne pas bouger. Apeuré, hébété, le visage ensanglanté et incapable de prendre appui sur ses bras, Levan se met à pleurer. Jambo, peut-être effrayé par les sanglots de l’enfant, s’éloigne rapidement. Un soigneur profite de l’occasion pour pénétrer dans l’enclos – c’est la première fois qu’un homme s’y aventure alors que les animaux sont présents. Il est bientôt rejoint par deux visiteurs qui n’hésitent pas à sauter dans l’arène. Ensemble, ils hissent l’enfant hors de la fosse, qui s’en sortira avec quelques fractures. Jambo, qui avait veillé sur le garçonnet, devient le célèbre « Gentil Géant », le zoo élèvera même une statue de bronze en son honneur. Son acte héroïque aidera à changer l’image des gorilles qui, à cette époque, est encore celle de bêtes féroces.