Chaudun, la montagne blessée

Auteur : Luc Bronner
Editeur : Points
Sélection Rue des Livres

Vous montez un col, traversez une forêt, longez une rivière. Au fond de la vallée, les restes d’un village, des blocs de pierre brisés : ci-gît Chaudun, village maudit qui fut vendu en 1895 par ses habitants à l’administration des Eaux et Forêts. Évocation poétique et charnelle des paysages alpins, de leur beauté et de leur infinie cruauté, le récit de Luc Bronner charrie et recompose toutes les traces du passage des hommes et des femmes dans leur intimité et jusqu’à leur fuite inéluctable. L’animal a remplacé l’humain, et Chaudun est désormais le cœur d'un espace ensauvagé, l'une des plus somptueuses vallées d'Europe.

Luc Bronner est grand reporter au Monde ; marcheur infatigable, il est familier des sentiers alpins depuis l’enfance.

6,40 €
Parution : Octobre 2021
Format: Poche
192 pages
ISBN : 978-2-7578-9071-4
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Extrait

Prologue
Un monde qui vacille
Ce sont les restes d’un village. Vous montez un col, traversez une forêt, longez une rivière. L’hiver, il faut tracer son chemin dans la neige, légère, car souvent à l’ombre, là où le soleil ne reste que brièvement et frileusement. L’été, un chemin de terre et de pierres, sous les mélèzes, un air sec et chaud. Au fond de la vallée, au milieu de nulle part, hors du monde, dans un des plus beaux paysages des Alpes françaises, les ruines de ce hameau me hantent. Les murs sont tous tombés, il ne reste que des amas de pierres, une poignée de voûtes à demi enfouies sous la terre, et des trous dans le sol, couverts par la végétation ou la neige, selon les saisons. Ce sont les restes des caves creusées des siècles auparavant, laissant le sentiment étrange d’un bombardement qui aurait ravagé ces lieux perdus. Enfant, j’ai joué à cache-cache dans ces bois, j’ai marché dans les ombres de ces vestiges et j’ai parcouru ces monts et ces vallons, parmi les plus sauvages d’Europe de l’Ouest. Le loup est revenu depuis longtemps et une meute a fait sa litière dans les bois, plus haut dans la forêt, croquant tous ceux qui courent moins vite. Les bêtes sauvages y pullulent et s’y engraissent, l’été au moins. Mais l’homme, si petit à l’échelle du temps, de la roche et des éléments, a disparu.

À la fin du XIXe siècle, les habitants du petit village de Chaudun ont choisi l’exil vers l’Amérique ou vers les montagnes voisines avec le courage de ceux qui deviennent des déracinés volontaires. J’ai voulu soulever les pierres, faire le récit d’un huis clos, d’un monde qui vacille, puis qui s’effondre sur lui-même, emportant tout, comme un torrent en crue, et les torrents peuvent être mortels, vous l’apprendrez vite. L’histoire d’un désastre écologique et humain, d’un suicide collectif et d’une étonnante résurrection. Un miroir tendu sur ces instants où l’on comprend, plus tard, souvent trop tard, que les siècles et les sociétés ont basculé, et que l’homme, ce passager temporaire de la planète Terre, s’est perdu face à la nature.
Il est arrivé, il arrive, il arrivera que les hommes et les femmes doivent fuir les catastrophes écologiques qu’ils ont eux-mêmes engendrées. J’ai voulu comprendre comment les êtres humains en viennent à assassiner leur environnement. Et comment ils peuvent réparer leurs fautes. Ce livre est le résultat d’une longue enquête personnelle – parce que tous les faits que je vais décrire sont réels, dans chacun de leurs détails, puisés dans ce que la mémoire nous a laissé en héritage. Parfois aussi arrachés aux silences de l’histoire avec lesquels il faudra ruser pour retisser patiemment les fils de cette montagne blessée.
Nos morts en disent beaucoup sur les vivants.

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