Démons de midi
Après avoir magistralement montré la lâcheté des hommes (Connard, 2005), la cruauté des femmes (Morue, 2006 réédité en Archipoche sous le titre Connard 2, 2007), Arièle Butaux ausculte les ravages de la cinquantaine chez ces messieurs. Même principe narratif : les trois amies mises en scène dans les deux premiers volets se retrouvent à Venise, et se confient les hauts et les bas de leur vie amoureuse au fil de nouvelles où l'ironie, le sourire se disputent à l'émotion. Au Garda Palace, Sergio rencontre un homme mystérieux venu lui emprunter son bateau pour rendre secrètement visite à la fille de la Signora Giardelli, Eleonora... Florence et Nicolas : un couple parfait, celui qui ne se séparera jamais. Avec leur deux fils, ils forment la famille idéale. C'est ce que tout le monde pense, surtout Florence qui reste aveugle lorsque son mari recommence à boire, lui ment et disparaît régulièrement, Jusqu'au jour où elle surprend un échange de regard entre son mari et une inconnue qui lui laisse entrevoir que Nicolas pourrait bien lui cacher quelque chose.
Extrait
Bien avant d'arriver sur le parvis de la mairie, dès les rues adjacentes et même à la sortie du métro, on repérait les invitées de la noce à leurs tenues trop légères. Les femmes, à la lecture du carton vélin annonçant un mariage en juin, avaient sorti des robes d'été, petits chefs-d'oeuvre de soie, d'organdi, de taffetas, travaillés en plissés, drapés, décolletés. Les occasions de les porter étaient trop rares pour qu'on les laissât passer, même lorsque le thermomètre chutait de dix degrés et sans préavis entre deux journées torrides. Les candidates à la pneumonie, certaines claudiquant sur des talons neufs, étaient vite remarquées parmi les passantes ordinaires. Un oeil affûté pouvait également repérer les hommes : ceux qui sortent en costume cravate le samedi matin le portent souvent avec une gaucherie adorable.
On attendait encore les mariés lorsque Florence et Nicolas arrivèrent au bras l'un de l'autre. Depuis leur propre mariage quinze ans plus tôt, ils avaient accompagné à la mairie bon nombre d'amis avec une ferveur qui frisait le militantisme. Mais pour le soutien moral au tribunal, en moyenne trois ans plus tard, c'était plutôt Florence qui se dévouait, Nicolas ayant toujours été désarmé et inutile face aux larmes comme aux récriminations.
Florencénicolas faisaient mentir toutes les statistiques du divorce. Ils étaient de tous les mariages, comme un porte-bonheur à deux têtes, une protection bon marché contre les risques et aléas de la vie à deux en milieu urbain. En public, Florencénicolas se parlaient avec précaution, utilisaient des mots fleuris comme synonymes de leurs prénoms, se tenaient autant que possible par la main et assortissaient leurs tenues. Ce jour-là, la cravate de Nicolas était taillée dans la même soie bleue que la robe de Florence. En guise de pochette, Nicolas avait épingle une orchidée sur sa poitrine. Florence portait la sienne au-dessus du sein gauche. Un beau couple...
Leur mariage avait tangué, mais peu de gens l'avaient su et le soulagement des retrouvailles les avait plongés dans l'euphorie d'une nouvelle lune de miel.
Des exclamations saluèrent l'arrivée des mariés. Florencénicolas sortirent leurs appareils photo. Ils connaissaient peu ces mariés-là, mais, par principe, ils se comportaient en amis proches avec tous les candidats au bonheur conjugal, bonheur dont ils se voulaient l'incarnation exemplaire. Soudain, Florence donna un coup de coude à Nicolas.
- Regarde ! C'est répugnant !
Une jolie brune, tous seins dehors, riait avec un couple des plus distingués.
- Hier encore, elle était dans son lit à lui ! commenta Florence.
- Quelle horreur ! renchérit Nicolas. Regarde comme il caresse le bras de sa femme ! Elle ne se doute de rien, la pauvre...
- Certains hommes sont des porcs ! Presque tous, en fait ! J'ai bien de la chance d'être tombée sur toi, mon chéri !