L'appel de la prairie
En 2003, Dave Goulson acquiert dans le Limousin une ferme à l’abandon entourée d’un terrain d’une douzaine d’hectares. Là, au fil des ans, le célèbre naturaliste et spécialiste de la biodiversité crée une prairie sauvageonne à partir de plantes vernaculaires, un refuge pour les insectes qu’il se plaît à observer et qui sont, ici comme ailleurs, en voie d’extinction. Déambulation dans ce cœur de France, son livre en ouvre l’horizon à la planète tout entière pour nous conter les extraordinaires histoires des plantes et des bêtes. Il nous rappelle aussi à notre part dans la sauvegarde des espèces : il ne tient qu’à nous de garder cette planète vivante et d’éloigner le spectre d’une terre silencieuse, sans cigales, sans papillons, sans abeilles, sans oiseaux. Sans nous.
Extrait
Prologue
En 2003, j’ai acheté au fin fond de la France rurale une ferme délabrée entourée de treize hectares de prairie. Mon but était de créer une réserve naturelle, un endroit où papillons, libellules, campagnols et tritons pourraient s’épanouir sans subir les pressions de l’agriculture moderne. J’avais surtout très envie d’offrir un refuge à mes bourdons adorés, ces créatures que j’étudie et essaye de préserver depuis vingt ans. Ce livre est, en partie, l’histoire de ce petit coin de campagne française, des plantes et des animaux qui y vivent, de leur évolution, et de mes efforts pour les inviter à y rester. La plupart des documentaires sur la nature ainsi que la plupart des mesures de protection se concentrent sur les grands animaux charismatiques : baleines, pandas, tigres, etc. L’un de mes objectifs en écrivant ce livre est de faire apprécier les petites bêtes ordinaires dont nous sommes entourés – les insectes et leurs proches. Le hasard a voulu qu’un grand nombre des insectes et des fleurs qui ont colonisé ma ferme appartiennent à des espèces que j’ai observées au cours de ma carrière scientifique, ce qui me permet d’expliquer quelques-unes des recherches effectuées dans le but d’explorer leur vie secrète. Vous apprendrez, entre autres choses, comment s’y prend la grosse vrillette pour trouver un partenaire ; pourquoi les mouches sont importantes ; comment certaines fleurs servent de couverture chauffante aux abeilles ; à quel point la vie d’une guêpe cartonnière peut être compliquée.
En racontant ces histoires, j’arriverai peut-être aussi à vous communiquer la joie de la découverte, la satisfaction que l’on retire à démêler les détails de la vie des créatures avec lesquelles nous partageons notre planète. Et, plus important encore, à vous faire prendre conscience que tout ce que nous savons et comprenons de l’histoire naturelle est juste le sommet de l’iceberg. Même parmi les créatures qui peuplent ma prairie, subsiste sans aucun doute un nombre presque infini de mystères envoûtants non encore élucidés, des animaux jamais étudiés, des comportements jamais observés. Combien de merveilles nous reste-t-il à découvrir ?
Dans la deuxième partie du livre, je montre comment les vies des créatures de la prairie se mêlent entre elles et avec les fleurs sauvages. Les plantes se disputent l’espace, l’eau, la lumière, elles nourrissent les herbivores, hébergent les parasites et les maladies. Elles utilisent des stratégies variées pour attirer les pollinisateurs ; à leur tour, ces derniers élaborent de nombreuses astuces pour apprendre à reconnaître les fleurs les plus avantageuses et profiter rapidement de leurs avantages, en dévalisant parfois leurs hôtes, mais en se faisant aussi duper par celles qu’ils pollinisent sans retirer la moindre récompense. Les plantes dépendent d’une foule de petits animaux et de micro-organismes qui décomposent les feuilles et les déjections pour en libérer les nutriments ; elles bénéficient aussi de l’action des oiseaux prédateurs, araignées, insectes qui régulent le nombre de chenilles, sauterelles et pucerons susceptibles de dévorer leurs feuilles. Chaque espèce est, d’une manière ou d’une autre, liée à des centaines d’autres au sein d’un réseau d’interactions qui, actuellement, dépassent notre capacité à les comprendre pleinement.
Dans la dernière partie, j’explique comment le monde moderne devient de plus en plus inhospitalier pour la faune et la flore, tandis que les humains exploitent une superficie croissante de terres afin de satisfaire nos multiples besoins. Je donne quelques exemples des ravages que nous avons causés – et causons – à notre planète, depuis les répercussions de la migration de l’homme préhistorique hors d’Afrique jusqu’aux dégâts insidieux que continue à provoquer l’utilisation abusive de produits chimiques toxiques dans les campagnes. Un grand nombre de créatures fascinantes avec lesquelles nous partageons notre monde disparaissent lentement par notre faute, et souvent avant que nous ayons pu apprendre quoi que ce soit sur elles ou sur leur rôle dans la tapisserie de la vie. Ce livre est en quelque sorte un signal d’alarme destiné à nous rappeler que nous devrions chérir la vie sur Terre sous toutes ses formes. Quand une espèce s’éteint, les mystères de son existence sont perdus pour toujours. Nous sommes en train de détruire l’héritage de nos enfants, de leur voler la joie de la découverte, de l’exploration de la nature. Et, de surcroît, nous sapons les capacités de notre planète à subvenir à nos besoins ; bien que nous comprenions très peu de choses aux innombrables interactions complexes des créatures vivant sur Terre, nous avons de bonnes raisons de croire que ces interactions sont indispensables à sa santé, donc à notre bien-être et peut-être même à notre survie.
Je veux vous faire observer notre monde avec des yeux différents ; vous pousser à sortir dans votre jardin ou dans un parc et vous mettre à quatre pattes pour regarder. Il y a tellement de choses à voir. Si vous regardez d’assez près, vous ne manquerez pas de devenir sensible à la splendeur insoupçonnée de la vie sur la planète Terre. Si l’on apprend à apprécier ce que l’on a, peut-être trouvera-t-on alors un moyen de le préserver.