Traversée
Francis Tabouret exerce un curieux métier : il est convoyeur d'animaux à travers le monde...
En avion, en bateau, il veille au bon acheminement de chevaux, principalement, mais aussi de moutons, de vaches, de taureaux...
Le voyage dont il est question ici a eu lieu fin 2014, à bord du porte-conteneurs Le Fort Saint-Pierre et le texte raconte le quotidien du narrateur et celui des animaux dont il a la charge, de la nourriture à la santé. C'est une observation de tous les instants. Le moindre tressaillement, le changement de comportement d'une bête peuvent être révélateurs d'un début de maladie, d'une déshydratation dangereuse, etc. Et puis il y a la vie à bord, l'équipage, la place respective des uns et des autres, les rituels, les préséances.
L'une des principales raisons pour lesquelles Francis Tabouret fait ce métier de convoyeur d'animaux est qu'il l'amène en des lieux qui l'intéressent ou l'étonnent - certains pays, les tarmacs, les bateaux, la route par exemple -, qu'il lui permet de découvrir le monde avec une part d'aléatoire.
Il y a, d'un côté, le hasard des destinations qu'il ne choisit pas forcément et, de l'autre, certains choix qu'il fait, comme celui d'embarquer sur un porte-conteneur pour traverser l'Atlantique. Ces voyages et l'écriture sont liés. Les uns servent aux autres. Ils s'entraident. L'écriture est une façon d'enrichir le présent de ces voyages, tandis que ces voyages lui permettent de donner corps à son envie d'écrire. Avec en tête, peut-être, Espèces d'espaces de George Perec, Les Anneaux de Saturne de W.G. Sebald ou Le Pèlerin de J.A. Baker qui sont, chacun à leur manière, des journaux.
La presse en parle
Récit surprenant du quotidien d’un soigneur d’animaux dans une ferme flottante entre Rouen et les Antilles, Traversée est un journal de bord du temps long, dans la compagnie de bêtes qui ne verront jamais la mer (barrée par des murs de conteneurs). Il devient au fil des pages une méditation poétique sur le temps, l’horizon, le mouvement : « Tous les jours, on vous rajoute une heure. Tous les jours une nouvelle heure vient s’enfiler à votre collier d’heures. Et on porte ses heures sur soi. Quand on se lève, quand on se couche. »
Mais le plus impressionnant dans ce court et beau premier texte où il ne se passe quasi rien, tient à la maîtrise époustouflante du rythme de la narration. A la précision redoutable de chaque mot, infusé d’expérience, de langueur, de vision. Et, comme le narrateur, on voudrait « ne pas s’approcher encore, s’arrêter juste là, dans cette eau, à distance, mouiller quelques jours au large ». Et repartir avec les moutons, les chevaux et les taureaux, dans l’odeur de l’écurie, des marins et de la mer.
Nils C. Ahl, Le Monde