Vairon
Comment imaginer aujourd'hui le destin d'une jeune femme née dans une ferme en 1889, dans la misère la plus noire ? Elle s'appelle Zulma, surnommée Vairon à cause de ses yeux dépareillés. Elle quitte sa mère et débarque affamée à vingt ans dans Paris, en 1909, avec déjà un premier bébé dans ses bras. Elle fait la découverte des quartiers déshérités de la capitale, et de son peuple. Mais aussi des idées révolutionnaires qui agitent l'Europe.
On assiste, sur un rythme brutal, à son éducation sexuelle, politique, existentielle. Elle s'enflamme non pour les idées mais pour la vie anarchiste. Refus de tous ordres, avec comme principe moral se libérer de toute domination. Et surtout vivre avec passion les découvertes d'un féminisme radical, créateur. On n'aura jamais lu, guidé par l'imagination d'une femme, une telle évocation hallucinée, charnelle, subjective, de ce début de 20 e siècle. Pulsions libertaires, fantasmes utopiques, désirs de repli communautaire, angoisses apocalyptiques, traumatismes post-attentats, ce sont les stigmates char- riés encore par notre époque.
Puisque la Belle Époque les contient déjà tous. La distance temporelle permet de figurer l'anarchisme non pas seulement comme une idéologie propre à un contexte historique mais comme l'expression d'une suffocation encore vive aujourd'hui, malgré les avancées sociales, les droits acquis. L'anarchisme apparaît comme un contre-pouvoir inhérent à l'État. Il s'inscrit ailleurs que dans le progrès. Il résiste, pendant que meurt le socialisme. C'est le roman d'une même révolte, à travers le destin d'une jeune héroïne. Zulma échappe à son destin. Elle sort de sa condition. N'en épouse aucune autre. Elle ne formalise rien. Par sa simple présence, elle atteste de l'existence. Elle est mue par cette liberté de réagir à l'instant.
La presse en parle
Paris, 1909. Zulma arrive des Pyrénées avec son bébé, Victor – comme l’homme qu’elle rencontre dans l’arrière-salle d’un bar et qui lui offre un toit et son amour. Victor – « l’autre, le grand » – est anarchiste. Zulma, elle, a faim. L’anarchie ou autre chose, tant qu’on lui remplit son assiette, ça lui va. Un banquet révolutionnaire en vaut bien un autre et, en même temps que le reste, Zulma se nourrit à droite et à gauche des secrets du plaisir féminin ou du rêve d’une vie collective chez les suffragettes. Drôle de livre, scandé par la pulsion de dévoration de la mère comme de l’enfant qui partout se nourrissent sans avoir l’air d’y toucher, où l’anarchie est peinte au rythme des tétées… Hélène Zimmer recompose dans Vairon, son deuxième roman, une époque rêveuse et effervescente dont elle s’ingénie à conserver le tumulte. Un texte chaotique où l’éclatement des phrases rencontre les bombes des anarchistes car, à en croire ces « presque rien », c’est là, dans le désordre et la désintégration, que réside le secret de la création.
Zoé Courtois, Le Monde des Livres