Faites-moi plaisir
Quin est licencié de la maison d’édition new-yorkaise où il travaille depuis de longues années. Il est accusé par plusieurs femmes de conduite «inappropriée». Pourtant, il peine à comprendre ce qu’on lui reproche.
Margot est sa meilleure amie. Si elle approuve la punition infligée à Quin, elle ne peut s’empêcher d’y voir une sorte d’injustice. Tiraillée entre colère et compassion, elle cherche des réponses. Au fond, que désirons-nous vraiment, et pourquoi? Qu’est-ce que le consentement? Que se passe-t-il lorsque nous cédons à l’inacceptable?
Dans ce récit percutant, c’est toute l’ambiguïté de nos comportements qui se révèle, cette zone grise à laquelle seuls les écrivains ont accès. Car rien ne les oblige, eux, à juger leurs personnages.
Extrait
« Tu avais une tapette à fessée dans ton bureau ? Elle traînait là, comme ça ? Je ne l’ai jamais remarquée.
— Oh Margot, arrête. C’était plutôt, je ne sais pas, une grande cuiller ou une spatule.
– Et comme par hasard, elle était dans ton bureau. Et tu...
– On avait rendez-vous pour déjeuner et elle avait une demi-heure de retard. Je déteste quand les gens sont en retard. Je suis sûr que tu as remarqué que je suis très ponctuel.
– En effet.
– Donc j’étais un peu agacé et, presque pour détendre l’atmos- phère, j’ai dit : “Tu mérites une punition pour ton retard, tu ne crois pas ?” Et elle a répondu : “Si, sûrement.” Alors j’ai dit : “Quelle devrait être cette punition ?” Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle allait répondre. Elle a dit... non, en fait elle ne s’est pas contentée de le dire : elle s’est retournée et penchée en avant. » Il a fait le geste pour me montrer, postérieur offert, genoux et cuisses serrées dans une pose affectée. Je crois qu’il a même posé les mains sur ses genoux. « Et elle a dit : “Une fessée.” Alors je lui ai donné une seule tape avec ce couteau à beurre...
– Une spatule, tu as dit.
– Peu importe ce que c’était, je ne m’en souviens pas. Et puis on est allés déjeuner et on a passé un super moment. Et maintenant elle dit que je l’ai battue et avilie. »
Je me suis pris le visage à deux mains en imaginant la scène : l’atmosphère badine au bureau, les paroles légères, la fille qui faisait peut-être une petite moue par-dessus son épaule en présentant ses fesses pour rire. Peut-être avait-elle tressailli à cette sensation cuisante, mais ensuite... allons-y pour le déjeuner et la rigolade ! Et puis le trajet de métro silencieux quand elle est rentrée chez elle, face à une rangée d’inconnus fatigués et distraits, fixant leur téléphone ou simplement le vide.
« C’est ça que je ne comprends pas. C’était son idée... non, en fait c’était bien mon idée. Mais elle a plus que joué le jeu. Elle n’était pas obligée de tendre les fesses comme ça. Elle n’était obligée de rien. Aucune d’elles ne l’était.
– Quin, ai-je répondu. Je ne dirai jamais ça en public. Je ne le dirai à personne d’autre qu’à toi. Et peut-être à Todd. Mais écoute. Les femmes sont comme les chevaux. Elles veulent qu’on les mène. Elles veulent qu’on les mène, mais aussi qu’on les respecte. Tu dois le mériter, à chaque fois. Et elles sont sacrément balèzes. Si tu ne les respectes pas, elles te jetteront à terre et caracoleront dans le paddock pendant que tu baignes dans ton sang. Voilà ce que je pense. »