Le silence ne sera qu'un souvenir

Auteur : Laurence Vilaine
Editeur : Gaïa

Le vieux Mikluš se déciderait-il à parler  ? Rongé par le remords d’avoir gardé le silence, il s’en remet à un journaliste venu à l’occasion des vingt ans de la chute du Mur de Berlin, et raconte les siens, cette communauté rom installée sur une rive slovaque du Danube.

Dilino est le souffre-douleur de la bande, parce qu’il est différent avec son air de gadjo. Il ignore qui est cette femme qui s’occupe parfois de lui. «  La Vieille  » s’appelait Chnepki et avait une voix d’ange. Elle fut brisée en plein vol un matin de 1942 et réduite au silence des années durant. Jusqu’au jour où apparut Lubko, le sculpteur de marionnettes qui jouait du violon comme un Tsigane.

À l’heure où de plus en plus de crânes rasés tapissent la ville de croix gammées, Mikluš éclaire ces existences opprimées, révèle les non-dits. Et balaie les étiquettes pour laisser surgir les visages.

17,30 €
Parution : Août 2011
172 pages
ISBN : 978-2-8472-0203-8
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Extrait

Que m'aurait-il fallu ? Un coup de pied aux fesses ou un couteau sous la gorge ? Une échelle ou une pioche auraient fait l'affaire, mais le mur était plus haut que l'Elbrouz et j'ai baissé les bras ; j'ai préféré tendre la pelle au fossoyeur pour qu'il m'enterre. Après avoir creusé le minimum nécessaire, il m'a descendu avec précaution, sans secousses et en ne dérangeant rien de la quiétude souterraine, ce qui m'a bien plu, cette idée de laisser chaque chose à sa place et chacun vaquer à ses affaires, le lombric à sa gymnastique et le pissenlit à ses racines, la mort à ses secrets. Puis il m'a enseveli comme il se doit, ce que j'attendais car cela justifiait enfin que je me taise, on ne parle pas la bouche pleine de terre, et je serais ainsi pardonné, libéré par cette bénédiction des vivants qui poursuivraient leur route en se disant «ma foi, c'était un bon bougre», et peut-être même «il nous manquera». Mais mon scénario avait oublié l'essentiel, la liberté qu'on ne gagne pas à simplement disparaître.
Je m'appelle Mikluš et je suis un truand. Aucun crime ne pèse sur ma conscience, mais mon délit ne mérite pas plus légère sentence que celui d'un tueur à gages. Je suis un malfrat de première classe, un vieux corsaire repenti sans navire, qui, honteux de son butin, a choisi de l'enfouir dans le sable avant de disparaître - en prenant soin de rouler la carte au trésor dans une bouteille, mais échouant à la jeter à la mer ; ce qui revient à porter un masque le reste de votre vie en espérant secrètement qu'un jour heureux de carnaval une main se hasarde à le lever et vous sauve. Personne n'a jamais débusqué la honte qui me ronge, et j'ai été trop lâche pour la regarder en face.
N'essayez pas de mettre un visage sur ma voix, je n'en ai plus, rongé par les vers, ce que vous penserez sans doute vous qui ne savez rien de la mort. Mais qu'importe. Une mauvaise grippe m'a finalement emporté, un méchant coup de froid vous expliqueraient les miens qui, escomptant chasser le mauvais oeil, m'ont patiemment veillé pendant dix jours et dix nuits. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que leurs incantations étaient inutiles puisque j'avais déjà décidé de mon sort, un privilège du grand âge sans doute que d'avoir le choix entre la vie et la mon : ou bien je restais encore un peu debout, mais je m'imposais de briser enfin le silence ; ou bien je choisissais de me taire et c'était pour toujours. Le courage m'a manqué, le «pour toujours» l'a emporté.

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Poche (Août 2014)
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