Baby Doll
La nouvelle vie de Lily Riser commence un soir d'hiver glacial. Seulement vêtue d'un pyjama, elle passe la porte. Elle serre sa fille dans ses bras. Et se met à courir. Loin de la cabane dans la forêt, loin du père de Sky, de cet homme qui l'a séquestrée pendant huit ans et qui, pour la première fois, n'a pas fermé la serrure. Lily est libre, mais ce n'est pas pour autant que leur calvaire est fini.
L'enlèvement et les sévices qu'elle a subis ne l'ont pas seulement marquée à vie, sa disparition a aussi détruit sa famille - surtout sa soeur jumelle qui ne s'est jamais remise de sa disparition. Tous tentent tant bien que mal de reconstruire un avenir, sans se douter qu'ils vont être à nouveau mis à rude épreuve. Depuis sa cellule de prison, le ravisseur de Lily compte bien punir sa Baby Doll pour sa désobéissance...
Extrait
LILY
Un verrou a un son bien à lui. Lily était devenue experte à reconnaître certains bruits – le craquement des lattes du plancher signalant qu’il arrivait, les souris galopant sur le ciment en quête de nourriture. Mais elle rassemblait toujours son courage quand elle était à l’affût du verrou, du grincement de métal contre métal. La serrure commençait à rouiller, aussi devait-il s’y reprendre à plusieurs fois. Inévitablement, elle entendait le déclic, le bruit signifiant qu’elles étaient enfermées pour une autre semaine, un autre mois, une autre année encore. Or ce soir, elle n’avait rien entendu. Seulement un silence assourdissant. Les heures passaient sans qu’elle parvienne à penser à autre chose qu’au verrou.
À côté d’elle, Sky bougea dans son sommeil et soupira. Lily caressa les cheveux noir de jais de sa fille ; son regard s’attarda sur le grotesque petit singe en peluche jaune dont Rick avait fait cadeau à Sky pour Noël. Lily détestait ce singe, mais elle ne pouvait pas priver sa fille d’un jouet. D’autant qu’elles n’avaient presque rien.
Mais le verrou. Comment se faisait-il qu’elle n’ait pas entendu le verrou ?
Cesse de penser à ça et dors, se dit Lily. Il était hors de question qu’elle soit fatiguée quand il reviendrait. Elle savait que cela le rendrait furieux. C’était stupide d’avoir cette idée fixe. Mais ce soir, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle avait été très nerveuse ces dernières semaines. Elle espérait que ce n’était que le contrecoup de la gastro contre laquelle elle luttait. Ce qui n’expliquait toujours pas pourquoi elle n’avait pas entendu le verrou.
Ce qui la troublait, c’était que Rick ne commettait pas d’erreurs. Il était trop précis, trop méticuleux pour cela. Peut-être la mettait-il à nouveau à l’épreuve. Il y avait eu tellement de tests au début. Mais elle avait fait ses preuves. Il croyait qu’elle était sa chose. Elle l’en avait persuadé.
Peut-être était-ce pour cela qu’il avait oublié. Et si, finalement, il lui faisait confiance ? Et si c’était leur chance de s’échapper ? Il y avait tant de « si » qu’elle en était paralysée. Elle calculait encore le pour et le contre quand Sky remua de nouveau. Ce fut le déclic pour Lily. Elle s’arma de courage et se glissa doucement hors du lit. Très lentement, elle monta l’escalier de bois raide, l’estomac serré comme dans un étau. Et s’il était de l’autre côté de la porte ? Elle voyait déjà son sourire narquois et satisfait, son index brandi, l’inflexion calculée de ses sourcils. Tst, tst, Baby Doll. Je ne t’ai pas prévenue de ce qui arriverait si tu me désobéissais ?
Parvenue en haut de l’escalier, Lily hésita. Où avait-elle la tête ? À sa dernière tentative d’évasion, elle avait failli perdre la vie. Pouvait-elle vraiment le défier ? Elle fut sur le point de redescendre, puis son regard se posa sur Sky, irradiant l’innocence, et elle comprit que pour son enfant, elle ne pouvait pas reculer. Fais-le pour Sky, se dit-elle. Lily tourna la poignée et la porte s’ouvrit sans résistance. Elle pénétra dans le chalet parfaitement tenu. De moelleux tapis de fourrure étaient jetés sur le plancher en chêne massif. Un bureau ancien, très travaillé, occupait un coin de la pièce, face à un bar bien rempli contre l’autre mur : une pièce ordinaire pour un homme qui ne l’était pas.
Lily retint son souffle. Seul le silence l’accueillit. Elle regarda vers les fenêtres qui laissaient entrer à flots la lumière de la lune entre les rideaux en soie italienne blanche ; dehors, des pins massifs s’étendaient à perte de vue. Elle oublia Rick et ses menaces, courut vers la porte d’entrée et, brusquement, elle se trouva sur le seuil, avec, devant elle, le vaste horizon blanc couvert de neige.
Dehors. Elle était dehors !
Elle n’était pas sortie depuis si longtemps. Le silence ambiant était différent de celui auquel elle avait fini par s’accoutumer. Celui-ci était paisible, serein. Un univers tout entier se déployait autour d’elle, et quelque part au loin se trouvait sa famille.
Courir ! Il faut courir !
Lily se retourna et se précipita à l’intérieur. Elle faillit trébucher en redescendant l’escalier branlant. Elle balaya du regard le placard de fortune où pendaient leurs vêtements et vit qu’il n’y avait rien d’assez chaud pour affronter des températures hivernales.
« Ma petite poupée doit être jolie », disait-il toujours quand Lily demandait des vêtements plus fonctionnels. Leurs pyjamas n’offriraient aucune protection contre les éléments, mais tant pis. Lily préférait mourir de froid plutôt que de laisser passer l’occasion. Elle s’approcha de Sky, qui dormait toujours à poings fermés. Elle avait envie de hurler Lève-toi ! Dépêche-toi ! Allez ! L’heure tournait et sa panique montait. Mais elle se força à respirer. Elle devait tout faire pour que Sky reste calme. Lily s’agenouilla à côté de la petite fille endormie et la secoua doucement.
« Mon bébé, réveille-toi, il faut qu’on y aille. »
Sky se dressa sur son séant. C’était une enfant extraordinaire, et ce depuis sa naissance, comme si elle comprenait d’elle-même que la vie qu’elles menaient dans ce sous-sol n’était pas normale, et s’adaptait aux circonstances les plus variées. Sky se frotta les yeux, en chassant le sommeil.
« On commence notre aventure, Maman ? »