Toutes les histoires d'amour du monde
Lorsqu'il découvre dans une vieille malle trois carnets renfermant des lettres d'amour, le père de Jean sombre dans une profonde mélancolie. Jean, lui, tombe des nues : Moïse, son grand-père, y raconte toute l'histoire de sa vie. Plus incroyable encore, Moïse adresse son récit à une inconnue : Anne-Lise Schmidt. Qui est cette femme ? Et surtout qui était-elle pour Moïse ? Comment quelqu'un de si chaleureux et sensible dans ses lettres a-t-il pu devenir cet homme triste et distant que père et fils ont toujours connu ? Naviguant entre les grands drames du xxe siècle et des histoires d'amour d'aujourd'hui glanées dans une tentative éperdue de faire passer un message à son père, Jean devra percer le lourd secret d'un homme et lever le voile sur un mystère qui va chambouler toute une famille...
La presse en parle
Toutes les histoires d’amour du monde, quatrième roman du médecin généraliste de 33 ans, confirme ses talents de tricoteur d’histoires, de brodeur de la vie. Avec Baptiste Beaulieu, qui n’aime rien tant que dénicher le sublime derrière le banal, reconstituer d’émouvantes trajectoires humaines, on n’est jamais très loin du conte. C’est ainsi que Jean n’hésite pas, pour sortir son père de sa mélancolie et se réconcilier avec lui, à mentir quelque peu sur les rencontres faites au fil de son enquête, tout comme l’écrivain prend quelques libertés avec le fond bien réel de cette histoire de famille.
Mais si ce livre comporte une part de fiction, il se veut aussi une chasse au trésor ou une bouteille à la mer. Anne-Lise Schmitt est une véritable personne, née le 3 avril 1944 près de Cologne, en Allemagne. Le dernier chapitre aurait dû être celui des retrouvailles, il est un appel à l’aide de l’écrivain à ses lecteurs pour la chercher. « C’est une femme polyglotte, donc si elle vit encore c’est sûrement quelqu’un qui voyage et qui lit, qui a des amis français », espère Baptiste Beaulieu. Fantasme d’écrivain ? Depuis longtemps, il est persuadé qu’on peut, sous une forme ou une autre, changer la vie de quelqu’un avec un livre. Etudiant, déjà, il demandait systématiquement au patient qu’il examinait quelle était sa lecture du moment. Une façon, nous avait-il raconté lors d’une rencontre en 2017, de « le sortir de sa maladie, lui redonner ses habits de citoyen ». Ce livre changera-t-il sa propre existence ? Il marque en tout cas probablement l’émancipation de l’écrivain Baptiste Beaulieu de l’univers médical qui l’a jusqu’ici beaucoup inspiré.
Des lecteurs se sont déjà lancés à la recherche d’Anne-Lise. Mais ce livre bouleversant pourrait bien avoir d’autres effets. En le refermant, on a comme une furieuse envie d’aller voir ses parents ou grands-parents pour les faire parler, leur faire raconter leur vie, tant qu’ils sont encore là.
Sandrine Cabut, Le Monde
Extrait
Je sais que la scène s’est déroulée en 1956, dans un austère bureau d’une grande gare parisienne.
Tu étais assis. Le pasteur, venu d’Allemagne spécialement pour toi, avait installé à ton côté un projecteur 16 mm (les plus commercialisés à l’époque), puis avait quitté discrètement la pièce.
Ce que tu as ressenti quand la bobine a commencé de tourner ? Difficile à dire… Je crois pourtant entendre le ronron de la machine et vois même l’image un peu jaunie, un peu fanée, sur le mur blanc. La lumière s’y réfléchit sur ta figure pâle et y dépose le reflet, vivant et jeune pour toujours, d’une petite fille. Blonde, la mine réjouie, on la voit entrer dans un parc d’attractions et adresser un salut poli vers le cameraman.
Tu sais que tu ne la reverras pas, c’est fini. Alors, j’imagine que tu as dû accueillir chaque seconde du film, chaque grain, chaque photon, et que ta gorge devait être serrée pour ne surtout pas geindre, hurler, ou renverser la table…
Le mystère de votre histoire te revient encore et encore. Tu es éclaboussé de rayons : la robe de la fille, le sourire de la fillette… tout te tasse au fond du siège, comme on casse les os aux défunts pour les emboîter dans la caisse.
Tu aurais pu être un grand-père aimant et chaleureux, tu ne seras qu’un homme-caillou calcifié par les remords, recroquevillé loin des vivants.
C’est à cet instant précis que tu es mort à la vie.
Je pense, ou je devine, que ta décision de sauvegarder toute la vérité, tu l’as prise quand tu as su – et accepté – que tu voyais ta fille pour la dernière fois.
Combien de temps auras-tu mis pour écrire votre histoire, à tous les deux ?
Une existence entière.
Moi, ton secret, il m’aura fallu des semaines de lectures, de rires, de larmes et de rencontres humaines pour le percer.
On riait et on pleurait aussi bien à l’époque qu’aujourd’hui, et pour les mêmes raisons.
Alors je veux dire à la personne qui lit ces mots : croyez-moi sur parole, de la tête au cœur, il n’y a pas UN mot de cette mystérieuse, extraordinaire et injuste histoire qui ne vous concerne pas.